PLADOYER POUR LE MAINTIEN DU FRANC CFA : Le Franc Cfa et le développement


PLADOYER POUR LE MAINTIEN DU FRANC CFA : Le Franc Cfa et le développement
Ces derniers temps, nombreux des spécialistes et intelligentsia Africains ont exprimé et souhaité l’abandon du franc CFA au profit d’une monnaie Africaine. Le début est très élevé en termes de richesse et de profondeur des analyses, mais manque une dimension qui est tout aussi importante que le débat lui-même. C’est la problématique de la monnaie face aux exigences de développement de notre espace économique. Au préalable, il me plaira de souligner que je ne suis pas spécialiste de la monnaie, mais j’interviens dans ce débat en tant que spécialiste de politique de développement. Les contours du débat tournent autant qu’ils sont à la nécessité de maintenir ou non le système de la fixité de la parité euro- Cfa, devant déboucher conséquemment sur une exigence positive de croissance voire de développent de nos économies respectives. Au demeurant, ce débat a toujours été agité sans pour autant faire l’objet d’une étude scientifique sérieuse pouvant le trancher définitivement. Les tenants de la sortie du système CFA sont pas des moindres, ces réfractaires sont l’économiste et ancien secrétaire général exécutif de la commission économique des Nations Unies, le Bissau Guinéen Carlos Lopes, et d’éminent professeurs et économistes comme ceux qui ont confiné sous leur signature, un ouvrage qui reflète plus qu’un sentiment passionnel et souverainiste qu’une véritable démonstration scientifique sur en quoi le CFA est un frein au développement de la Zone UEMOA, comme en résulte et le suppose, son intitulé « Sortir l’Afrique de la servitude monétaire ». Ces derniers sont le Togolais Kako Nubukpo, le Sénégalais Moussa Dembélé et le Camerounais Martial Ze Belinga , Ils estiment que la monnaie qu’est le Franc CFA est une relique coloniale et qu’elle est très forte pour des économies en développement sans pour autant démontrer l’influence ou tout cas l’impact de cette monnaie sur le processus de développement de nos économies. Ainsi, le Franc CFA est traité de tous les maux, tels « qu’une monnaie dysfonctionnelle dont la combinaison avec les autres outils de politique économique donne la recette d’un cocktail économique mortifère », d’aucuns même appellent à bruler cette monnaie qui n’est qu’un mirage tendu aux Africains, d’autres encore estiment que pour réussir le décollage économique, il faut se déconnecter de cette monnaie. En outre, des institutions les plus autorisées s’en sont mêlées à cette gymnastique intellectuelle, c’est le cas du FMI qui ne parle directement du franc CFA, mais on sent cette illusion à peine voilée lorsqu’il parle du régime de change fixe en estimant qu’il prive 2 points de croissance aux pays l’ayant adoptés, c’est aussi le cas de la sortie très médiatisée de l’adjoint de Ban ki-moon qui a dénoncé le caractère désuet du franc CFA. Voila le décor ou en tout cas le portrait du Franc Cfa que ces détracteurs n’hésitent à remettre en cause et à appeler à son abandon pure et simple au profit d’une monnaie Africaine commune. Cependant, il nous semble que le débat et parfois certaines positions sont mal posées, certains ont comme fil conducteur de leur raisonnement des revendications passionnelles ,panafricanistes ou encore même autonomistes, et contrairement à cette posture contre productive, nous estimons que le nœud gordien qu’ il faut se poser est de savoir est-ce que le Franc Cfa est au service de notre processus développement économique, au cas contraire comment l’améliorer à telle enseigne qu’il puisse être efficient pour notre développement, et tout le reste du débat n’est que stérile et contre productif. C’est le sens de mon intervention. En effet, ce n’est pas la politique monétaire qui a été à l’origine du cercle vicieux auquel se trouve l’Afrique, encore moins le franc Cfa. Si l’heure du développement de l’Afrique n’est toujours pas au rendez-vous depuis l’indépendance jusqu’à nos jours malgré les différentes stratégies de développement pensées, adoptées et mises en œuvre, c’est parce que notre départ ou notre élan avait été fauché, et même si le système linéaire tel que pensé par Rostow avait été unanimement adopté par les Africains, il n’est pas certain d’atteindre le stade de l’ère de la consommation de masse, Le faux départ résulte d’un dysfonctionnement et d’une incohérence tant dans le cadre des stratégies que dans le cadre de nos politiques de développement respectif, et dont le plus grave aura été les ajustements structurels des années 1980 imposées à l’Afrique. Ce petit rappel est nécessaire pour camper le débat et même si l’objet de cette présente intervention n’en est pas le cas, il aura le mérite de prime abord, de balayer en touche les arguments selon lesquels c’est le Franc CFA qui a freiné le développement de l’Afrique. Sur le système de change euro-CFA C’est suite au passage à un système de change flottant en 1973, entériné par le 2e amendement aux statuts du FMI en 1978, que chaque pays choisit son système de change, et les principales devises flottent entre elles, c’est sous ce dispositif règlementaire qu’il convient de situer comme la plupart des pays en développement, le rattachement de la monnaie des pays de l’UEMOA et des pays de la CEMAC à une devise clé telle que le franc et par la suite l’euro. C’est quoi le développement D’abord, sur l’outil de la monnaie au service du développement : le développement en tant que tel, est un concept sujet à de plusieurs interprétations divergentes, de positions controversées de la part des spécialistes, mais nous en retiendrons succinctement deux ou quartes en corrélation avec notre problématique. Selon Thant , ancien secrétaire aux Nations Unies, le développement , c’est la croissance plus le changement, le changement en retour est social et culturel et aussi bien qualitatif que quantitatif, d’autres auteurs tels que Rist conçoit le développement comme un ensemble de pratiques en vue d’une production croissante de marchandises, biens et services, destinés à travers l’échange, à la demande solvable, d’autres auteurs le conçoivent différemment tels que le programme des Nations Unies pour le développement PNUD, qui le conçoit sous l’angle de la satisfaction des besoins de base, pour d’autres encore, ce concept renvoie à un processus biologique comme le développement naturel avec les caractéristiques fondamentales : la directionnalité, la continuité, l’irrésistibilité et la cumulativité Certains auteurs comme Rostow appréhende le développement dans une dimension évolutionniste avec un certain nombre d’étape que sont : l’étape de l’économie agricole, les conditions du décollage, le décollage, les industries de transformation et enfin l’ère de la consommation de masse, contrairement aux auteurs classiques en l’instar de Colin Clark et Jean Fourastié qui distinguaient le développement sous le triptyque secteur primaire, secondaire et tertiaire pour faire apparaitre les changements structurels qui l’accompagnent. Enfin, Hirschman, le grand théoricien de la croissance déséquilibrée l’appréhende sous l’angle du facteur humain, mais en résumé, nous concevons le développement comme un processus de transformation évolutive de l’ensemble des secteurs macroéconomiques, un processus d’accumulation à long terme de produit à haute valeur ajoutée, par le moyen de la croissance soutenue et durable ou apports massifs de capitaux, qui ont pour effet une amélioration des richesses nationales, de l’investissement productif, des infrastructures en masse et dont le tout, est d’impacter considérablement sur le bien et le mieux être des populations. Pour atteindre cet objectif il faut faire comme l’avion, qui, pour décoller nécessite une certaine vitesse critique au sol, c’est justement ce qu’il faut essayer de faire avant de s’attaquer aux politiques monétaires spéculatives qui ont un grand impact certes, mais secondaire par rapport aux stratégies et modèle qu’il faut adopter préalablement. Toutefois, à partir de ce postulat, il est aisé de constater que la croissance est fondamentale dans tout processus de développement, et il ne peut y avoir de politique économique viable sans croissance, sans instrument de politique monétaire capable de servir cette croissance de l’asseoir, et d’impulser son dynamisme. Or les instruments monétaires renvoient aux échanges internationaux, et ne restent efficaces que s’ils sont au service de la croissance qu’ils servent en permettant une meilleure compétitivité de nos économies et de favoriser les mécanismes permettant à cette croissance de jouer normalement. Or, la sortie du franc CFA impliquera une série de conséquence très néfaste pour la mise en place non seulement de ces mécanismes, mais elle le sera d’autant plus, eu regard à nos économies spécifiques dont la dépendance et l’appui de l’extérieur sont indispensables et nécessaires si nous voulons raccourcir notre processus de développement. Les conséquences de la sortie du franc Cfa sur notre processus de développement : La première conséquence immédiate c’est l’inflation, parce que la zone Franc qui a une économie extravertie, frappée par une détérioration et une inégalité des termes de l’échange, ayant nécessairement besoin des produits manufacturiers, aura non seulement beaucoup de difficulté en terme de pouvoir d’achat à l’acquisition ou à l’importation de ces produits avec une monnaie faible mais aussi beaucoup de mal à constituer un variable d’ajustement entre prix domestiques et prix mondiaux. La deuxième conséquence est l’instabilité et la désintégration de nos économies, puisque cette monnaie en même temps qu’elle favorise un commerce entre les pays de la zone franc, favorise également une stabilité de notre politique monétaire calquée sur celle de l’UE, ce qui favorise d’ailleurs les investissements directs étrangers et les apports de capitaux. La troisième conséquence, c’est le retard qu’accusera la zone franc dans son processus de développement, puisque d’une part, il ne peut y avoir de développement sans industrialisation, sans productions de biens manufacturés intensifs en nouvelles technologies, et en l’étape actuelle de notre tissu industriel , cette industrialisation ne saurait se faire sans acquisition de cette technologie et sans la mise en œuvre de la stratégie aux remontées des filières, tout cela serait illusoire, ubuesque avec une monnaie faible ou avec l’aventure incertaine de la sortie du franc Cfa, d’autant plus que notre zone franc a besoin une monnaie forte et stable pour l’importation, la maitrise de ces technologies si nous voulons accélérer notre processus de développement. L’exemple est donné par les pays asiatiques comme la Corée, le Japon, en un moment donné, ils n’ont pas hésité à surévaluer leur monnaie pour favoriser les secteurs importateurs de ces technologies indispensable à toute stratégie de substitution à l’importation. Par conséquent, l’heure n’est pas en tout cas pour nos économies, en l’étape actuelle de notre processus de développement à l’abandon du CFA, encore moins à la sous-évaluation de notre monnaie, comme le fait souvent la Chine avec son yuan pour la compétivité de son économie et pour favoriser ses exportations, à ce propos aussi comme le dit l’adage « comparaison n’est pas raison », si cette dernière le fait c’est parce qu’elle a déjà un tissu industriel assez significatif, en plus de la maitrise de sa technologie, en plus de la conquête achevée de son marché intérieur, alors qu’en Afrique, dans la zone CFA, nous trainons encore du pied pour une industrialisation compétitive, c’est le préalable qu’il faudra régler avant d’attaquer la question de l’abandon du CFA. Sur les comptes d’opération : A ce propos, il est possible d’objecter qu’il est incompréhensible que la zone franc ait besoin de capitaux pour son développement alors qu’elle dispose des réserves très importantes logées au trésor français. Cependant, s’il est vrai que ces réserves constituent une manne financière importante pour constituer des capitaux indispensables à tout développement économique, il serait légitime dès lors d’en réclamer une certaine rétrocession de 5 ou 10 pourcent pour financer nos projets de développement, ou demander à l’agence française de développement d’augmenter son aide publique au développement de 0,38 pourcent du PIB d’aujourd’hui à 1 ou 2 pourcent, parce qu’il y va de notre réussite et de notre droit au développement, parce que les pays asiatiques, s’ils se sont développés, c’est parce qu’ils ont pu bénéficier d’une aide extérieure durant la guerre froide compte tenu de leur position géopolitique, cette aide s’étant traduite par un apport massif de capitaux, en plus de la délocalisation des multinationales, par conséquent les pays de la zone franc doivent réclamer au nom de l’histoire commune et au nom de la langue que nous partageons plus d’appui, plus de capitaux à la France et enfin plus d’appui technique puisque le modèle de développement Français est l’un des plus grands modèles que l’Afrique Francophone doive s’approprier. En outre faut-il le rappeler, sous ce rapport des comptes de réserves, l’économiste Africain Abdoulaye Wade avait appelé à son rapatriement pour financer le Népad, ce qui nous paraissait courageux et panafricaniste de sa part, mais impossible à mettre en œuvre parce que non seulement il mettrait en cause la garantie de la convertibilité mais aussi, signerait également la faillite de la banque de France, puisque ce rapatriement équivaudrait à retirer plus de 13000 milliards de FCFA au trésor français. Simplement, soit il est toutefois possible de mettre à la disposition de la zone franc un certain pourcentage 10 pourcent pour le financement de nos infrastructures économiques et sociales IES ou pour le financement de nos politiques de développement par la mise sur pied d’une stratégie calquée sur le modèle des pays émergents qui ont aligné les politiques d’industrialisation par substitution à l’export et import dans le cadre de leur dynamique évolutive. Ou soit sous l’appui du FMI, produire des DTS en faveur de ces pays sous la garantie de la banque de France pour leur permettre de faire face à l’équilibre de leur balance de paiement et aux différents projets régionaux.

Docteur Ousseynou Babou Expert en Politique de développement Ancien conseiller à la Présidence de la République du Sénégal weuzepresi@gmail.com 
Lundi 24 Avril 2017




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