La crise du Mali est riche en enseignements .Elle marque l’effondrement de l’Etat au Mali mais aussi et surtout l’effondrement de notre diplomatie.Avec la crise du Mali, le Sénégal est passé de l’avant-garde diplomatique et militaire en Afrique de l’Ouest à l’arrière garde. Le Nigeria qui a toujours rêvé d’une doctrine de Monroe s’est précipité naturellement à Bamako avant l’armée du Sénégal sans parler des Tchadiens venus de l’autre cote du continent en traversant un désert et un fleuve. Si le Nigeria, le Tchad, et tous les autres pays de la sous-région sont arrivés avant nous, c’est parce que les nouvelles autorités, à commencer par le Président de la république, semblent avoir oublié ce bon mot de Bismarck à savoir « Un pays fait son histoire mais subit sa géographie ». Le Sénégal aurait dû être le premier pays à arriver Bamako parce que le Mali est plus qu’un voisin pour nous. Nous sommes tellement proches historiquement et géographiquement que nous avons appartenu à un même pays(la Fédération du Mali). C’est tellement vrai que personne n’a entendu les autorités maliennes ou sénégalaises recenser des refugiés maliens au Sénégal alors que des opérations de recensement ont été menées en Côte d’Ivoire et au Burkina. Personne n’a songé à recenser des maliens parce qu’ils ne se considèrent pas comme des étrangers chez nous et les sénégalais non plus ne se considèrent pas comme des étrangers au Mali parce que les maliens ont leur Wolofobougou et nous avons notre Mbambara à Thiès et Malicounda à Mbour. Le Sénégal est la porte du continent mais cette porte ne doit pas seulement s’ouvrir vers l’Océan. Si on l’ouvre sur le continent le Mali est notre porte du continent et le premier jalon avait été posé avec le Dakar Niger. Le deuxième jalon est le port de de Dakar, de fait le port du Mali. Si les intérêts du Tchad et du Nigeria ne sont pas évidents dans l’intervention, ceux du Sénégal sont d’une évidence biblique parce que le Mali est notre porte vers le continent et qui nous permet d’aller à la conquête du marché ouest africain. Si la France n’était pas intervenue, nous aurions aujourd’hui les hordes islamistes à Kayes et nous aurions à nos Frontières un Etat taliban et djihadiste. Si les nouvelles autorités n’étaient pas atteintes de cécité stratégique, elles auraient dû aller au secours du Mali dès le premier jour dans l’effort de containment de la vague terroriste. Le Sénégal aurait dû jouer le même rôle que le Kenya ou l’Ethiopie en Somalie quand ce pays, comme le Mali, a été assailli par les islamistes shebbab. Le Kenya et l’Ethiopie ont pris leurs responsabilités et ont tenu leur rang de puissances régionales en intervenant pour chasser les shebabs. Le Sénégal aurait dû tenir son rôle de puissance régionale comme il a l’a fait en intervenant en Côte d’Ivoire, au Liberia, en Guinée Bissau et même au très lointain Congo et au Darfour. Comment on peut se précipiter pour aller éteindre le feu dans une case dans un village lointain (Darfour et Congo) et négliger la case de son voisin (le Mali) qui a pris feu. La crise malienne a été un ratage diplomatique et militaire pour le Sénégal mais ce n’est ni la faute des diplomates ni des soldats, mais celle du chef de l’Etat, chef des diplomates et de l’armée.
Le chef d’Etat ne se passionne que pour les questions domestiques et semble oublier qu’il est l’héritier de Senghor, de Diouf et de Wade qui ont hissé très haut le drapeau du Sénégal sur la scène internationale. Le Président Wade avait fait de Dakar un carrefour diplomatique en s’impliquant dans la résolution de la crise malgache, en mettant autour d’une table le Tchad et le Soudan, en jouant les médiateurs entre le Président mauritanien et son opposition, mais aussi et surtout entre la France et l’Iran pour la libération de Clothilde Reiss. Toutes les conditions étaient réunies pour que le Sénégal incarne le leadership sous régional lors de la crise du Mali. La présidence de l’OCI, qu’exerce le Sénégal aurait dû être un avantage comparatif et un supplément de légitimité pour MackySall pour déconstruire les thèses fallacieuses des islamistes qui ne sont rien d’autres que des rentiers identitaires. Le Sénégal, berceau de la négritude, est resté curieusement aphone lors du saccage de Tombouctou qui est pour l’Islam africain, ce que Jérusalem est au judaïsme. Le Sénégal doit rapidement retrouver son rang dans l’échiquier sous régional et continental pour sa propre sécurité mais aussi celle de la sous-région. Notre sous-région est devenue l’une des zones les plus instables au monde avec le Mali en guerre contre le péril islamiste et les démons de la partition, la Guinée Bissau dans une instabilité permanente avec une armée qui a son Etat alors que dans un pays normal, c’est l’Etat qui a son armée, le Nigeria en proie à une crise identitaire quasi insoluble. Dans cette région instable le Sénégal est un Etat-rempart parce qu’étant l’un des rares Etats à être stable et avoir une armée républicaine.
La diplomatie est un avantage comparatif du Sénégal qui doit tenir son sang diplomatique. L’expression « Petit pays, mais grande diplomatie » doit rapidement redevenir une réalité. Il est salutaire que le Sénégal recentre sa politique extérieure dans son voisinage immédiat. Senghor voulait atteindre l’unité africaine par les « cercles concentriques » mais force est de constater que le premier cercle est devenu comme dit l’historien Ibrahima Thioub un « cercle de feu ». Nos voisins se « militarisent » avec des coups d’Etat en Mauritanie et en Guinée Conakry, une instabilité chronique à Bissau. Le Mali qui était le seul corridor qui nous permet de respirer l’air de la démocratie est à son tour victime de l’instabilité.
Sur le plan géographique le Sénégal constitue le pont entre le Maghreb et l’Afrique noire. Un pont entre deux mondes. Notre pays a une vocation naturelle d’être un pont entre les cultures. Un pont culturel entre l’Orient auquel nous lie l’Islam et l’Occident auquel nous lient les valeurs de la République et de la Démocratie. Le Sénégal est le seul pays musulman à avoir eu un Président catholique pendant 20ans. Cela prouve que le Sénégal est une chance dans un monde où les entrepreneurs identitaires occupent le devant de la scène en ayant en bandoulière « le choc des civilisations » avec les apories des combats identitaires qui deviennent de plus en plus meurtriers. Un tel pays a une vocation naturelle à être à l’avant-garde et non se bousculer pour l’arrière garde. Etre à l’avant-garde aujourd’hui, c’est se projeter dans l’après intervention en aidant le Mali avoir les deux piliers qui font la force du Sénégal : une armée professionnelle et un Etat.
Pape DIOP, Président de la Convergence Démocratique/BokkGis-Gis
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