Méditerranée : l'UE peut-elle faire face aux drames migratoires?

Alors que le nombre de pertes humaines a explosé depuis trois jours, l’Union européenne fait l’objet de toutes les critiques, en raison de son impuissance à contenir des flux migratoires désormais totalement incontrôlés. Dans l’urgence, les ministres de l’Intérieur des Vingt-Huit ont rejoint leurs collègues des Affaires étrangères lundi après-midi, 20 avril, à Luxembourg, pour préparer la tenue d'un Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement qui aura lieu ce jeudi. Un plan élaboré par la Commission et approuvé par les ministres y sera discuté.


Méditerranée : l'UE peut-elle faire face aux drames migratoires?

Les ministres européens ont donné leur aval au plan en dix points que leur proposait la Commission européenne. Ce que l’on retiendra de ce plan, c’est d’abord le doublement des moyens financiers et en navires à disposition des deux opérations de repérage (et, éventuellement, de sauvetage) d’embarcations chargées de candidats à l’immigration clandestine, en Méditerranée orientale.

Ces opérations (noms de code : Triton et Poséïdon, respectivement) sont conduites parFrontex, l’agence de sécurité des frontières extérieures de l’UE. L’objectif est de porter à plus de quarante le nombre de navires composant la flottille, qui aura désormais pour mission de patrouiller partout. Autres éléments nouveaux : la saisie et la destruction à quai des bateaux de passeurs, et la prise systématique des empreintes digitales des migrants, dès leur arrivée dans l’Union européenne.

L’efficacité de ce plan dépend pour beaucoup de la fiabilité des renseignements transmis par les attachés d’immigration qui devront prendre leurs fonctions auprès des délégations de l’UE dans les pays d’origine et de transit des flux migratoires. Avec d’autres agences judiciaires européennes spécialisées, ces agents devront reconstituer les méthodes, les complicités, et les responsables des filières de passeurs.

Six mois, au moins, avant la mise en œuvre totale du plan

Ce plan n'entrera pas en vigueur immédiatement. Dûment approuvé par la cinquantaine de ministres présents ce lundi 20 avril  à Luxembourg, il se retrouvera ce jeudi sur la table des vingt-huit chefs d’Etat et de gouvernement réunis à Bruxelles, en Sommet extraordinaire, avec pour seul point à l’ordre du jour la riposte à apporter à la déferlante tragique de candidats à l’exil. Il est probable qu’il soit adopté avec, peut-être, quelques modifications mineures. Mais sa mise en œuvre totale, en revanche, ne pourra intervenir avant au moins six mois, même si quelques éléments seront appliqués sans tarder.

C’est dire que la situation dans le canal d’Otrante ne devrait pas se modifier considérablement dans l’immédiat, et que l’on ne peut évidemment pas exclure d’autres naufrages dans l’intervalle. Mais il ne faut jamais perdre de vue que la prise de décision par vingt-huit pays souverains est un processus long et lourd, en contraste total avec ce qui peut se passer en Russie, en Chine, ou aux Etats-Unis. C’est, pour les Européens, le prix à payer pour le maintien d’un semblant de souveraineté nationale de chaque pays membre.

Toutes ces mesures ne se rapportent, au mieux, qu’à la répression des filières de passeurs et au sauvetage en mer ; mais on a l’impression qu’on ne fait là qu’effleurer la surface du problème des flux migratoires. Sans contrainte particulière, l’Europe se laisse ronronner ; et, quand l’urgence se présente, elle adopte des solutions partielles ou à très court terme, car ce plan soigne (un peu) la plaie, mais est sans influence aucune sur les causes, comme sur les conséquences, de la blessure.

Pas de politique de l’immigration raisonnée, sélective et légale, commune

D’autres grands pays développés ont su mettre au point, depuis des dizaines d’années, des politiques de l’immigration raisonnée, sélective, et légale. C’est le cas du Canada et des Etats-Unis, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Mais les pays européens, eux, se raccrochent encore à la notion de compétence nationale exclusive des questions de migration et de contrôle de leurs frontières. Là où celles-ci ont physiquement disparu, c’est-à-dire dans l’espace Schengen ou entre les pays des Îles britanniques. L’exploitation de l’immigré-repoussoir par un nombre croissant de mouvements politiques conduit à mettre en cause cet acquis de l’intégration européenne.

C’est au fond davantage au Parlement européen  que l’on trouve la réflexion la plus aboutie. Il s’y dit que c’est d’abord aux causes de ces flux migratoires qu’il faut s’atteler. Ces causes, qui sont l’effondrement de l’économie des pays d’Afrique sub-saharienne, la gestion irresponsable des richesses naturelles de ces pays, une succession de mauvaises récoltes, ou la progression du désert. De plus, un nombre croissant de régions y sont en proie à des guerres civiles, à des insurrections armées, à l’estompement de l’Etat de droit.

L’Europe, à la démographie anémique, a besoin de l’immigration

L’action de l’Union européenne, c’est de tenter, comme elle le peut, de rétablir la prospérité et la paix, et, de ce fait, d’ôter toute nécessité d’exil aux citoyens de ces contrées. Mais il est clair aussi que l’Europe, à la démographie anémique, a besoin de l’immigration, à la condition que celle-ci soit choisie en connaissance de cause par les candidats et que ceux-ci se répartissent dans tous les pays de l’Union. Cependant, ces débats qui ont cours entre députés européens de tous bords politiques ne masquent pas une réalité : ces objectifs sont lointains, alors que les problèmes sont immédiats.

Mardi 21 Avril 2015




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