Mamadou Talla, ministre de la Formation professionnelle, de l’Apprentissage et de l’Artisanat « En 4 ans, nos effectifs sont passés de 29.000 à 55.000 apprenants »

Le ministre de la Formation professionnelle, de l’Apprentissage et de l’Artisanat, Mamadou Talla, revient, dans cette entretien, sur les faiblesses de l’enseignement technique et professionnel, les innovations en cours pour rendre attractives les filières, les réalisations et les projets. A l’en croire, l’enseignement technique est devenu très attractif. La preuve, les effectifs ont plus que doublé en 4 ans. Ils sont passés de 29.000 à 55.000 apprenants.


Nous avons l’impression que les filières professionnelles n’attirent pas beaucoup les élèves. Pourquoi ?

Dans l’enseignement technique, il faut des équipements, des professeurs particuliers, etc. Nous enregistrons plus d’élèves dans l’enseignement général, parce que c’est le côté le plus facile. Nous sommes en train d’inverser la tendance en augmentant le nombre d’élèves dans l’enseignement technique et scientifique et dans les filières professionnelles. Ceci exige plus d’équipements et des postes de travail. Dans l’enseignement technique et professionnel, les élèves ont besoin de postes de travail. Ce n’est pas comme dans l’enseignement général où on peut retrouver entre 40 et 50 élèves par classe. Ici, c’est 16 ou 32 élèves au maximum par cours.

Qu’est-ce qui est fait pour rendre attractives ces filières techniques et professionnelles ?

Nous sommes en train de réformer la formation technique et professionnelle au Sénégal. Nous avons établi de nouveaux programmes qu’on appelle les Stidd (Sciences, techniques industrielles et développement durable). En 2012, lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, nous avons remarqué que la différence nette entre l’enseignement technique et celui professionnel n’était pas bien perçue. Il fallait réexpliquer ce qu’est l’enseignement technique et définir le type d’enseignement qu’il faut y mener. Cela nous a amenés à revoir le programme de l’enseignement technique. Nous avions le Bac T1, T2 et G. Ces programmes ont été revus.

Nous avons aussi apporté d’autres changements en termes d’équipements. J’ai été formé au lycée Limamou Laye et j’ai été professeur au lycée Ahmadou Bamba de Diourbel. 15 ans après, lorsque je suis revenu, j’ai trouvé les mêmes machines, le même matériel pédagogique et didactique, alors que l’enseignement technique dans le monde est, aujourd’hui, totalement différent. C’est une bonne dose de science à l’intérieur avec beaucoup de mathématiques et de sciences physiques. C’est ce qui nous a poussés, avec le soutien de l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif), à réviser le programme pour attirer les jeunes, afin que l’enseignement technique soit considéré comme les autres types d’enseignement. En ce qui concerne la partie technique, nous ne sommes plus à l’ancienne époque. Deux machines à commande numérique, deux mini tours suffisent largement. Le reste, c’est des projets, des systèmes qui correspondent à l’environnement.

Quels sont les changements en cours ?

Ce que nous voulons faire, c’est amener très tôt l’élève qui est dans l’enseignement technique vers les sciences de l’ingénierie.

L’élève sera très tôt dans la conception et la réalisation de systèmes. Nous n’avons plus besoin de grosses machines. Tous les enseignements peuvent être faits avec de petits systèmes didactiques qui peuvent, après, être rangés dans des armoires. Nous sommes dans cette dynamique, et c’est ce qui va attirer les jeunes. Tout élève, à partir de la seconde, peut dire : « Je suis un scientifique, parce que je fais la série T1 ou T2 où il y a beaucoup de mathématiques et de sciences physiques comme dans les séries S1 ou S2 ». Beaucoup d’industries utilisent, aujourd’hui, le mode de fonctionnement expliqué plus haut. C’est ce que nous voulons installer dans nos lycées. Nous avons un important financement qui peut nous permettre de revoir tout ce que nous avions en termes de bâtiments et d’équipements dans les lycées Limamou Laye, Delafosse et André Peytavin.

A quoi servira cet important financement ?

C’est dans le cadre du projet Fpec (Formation professionnelle pour l’emploi et la compétitivité). Les élèves qui sortiront de ces lycées pourront aller à l’Université ou directement dans l’industrie pour y travailler. Cela donne beaucoup d’ouverture. A Diamniadio, où nous avons lancé le pôle des métiers, nous avons trouvé des jeunes sortis de l’université avec des Licences et Masters qui sont en train d’être formés en même temps que des élèves qui ont le Cfee dans la plomberie et autres. A leur sortie, ils vont aller créer leurs propres entreprises. Nous sommes, aujourd’hui, en train de répondre aux besoins des entreprises.

D’ailleurs, pourquoi devons-nous ouvrir l’année scolaire en octobre et la fermer au mois de juin ? Nous avons des lycées dans lesquels nous formons des jeunes dans l’agriculture et dans l’agro-alimentaire. C’est même absurde que ces lycées soient fermés pendant l’hivernage. Nous sommes ouverts aux secteurs productifs et c’est ce qui détermine les filières et les types de formation.

Aujourd’hui, il y a même un engouement, parce que sur un concours où nous n’avions besoin que de 20 personnes, 1.200 jeunes se sont présentés.

Le Sénégal est devenu un pays minier. On y a aussi découvert du pétrole et du gaz. Tout cela nécessite des compétences nouvelles. Avez-vous pris les dispositions pour qu’il n’y ait pas un déficit de compétences lorsque les exploitations vont démarrer ?

Depuis plus de deux ans, le ministère est sur tous les fronts. Nous avons trouvé au Sénégal une situation inexplicable. Au moment où il y avait 1,8 million d’élèves dans l’école élémentaire, 300.000 nouveaux inscrits chaque année au Cp, 40.000 bacheliers qui tapent à la porte de l’université tous les ans, il n’y avait que 29.000 apprenants dans tout l’enseignement technique. Il fallait changer cela. Et du coup, nous sommes passés de 29.000 apprenants en 2012 à 55.000 à nos jours. C’est pour vous montrer que nous sommes en train de faire face. Parallèlement à cela, pour répondre aux besoins de l’économie en réalité, dans l’axe 2 du Plan Sénégal émergent (Pse), nous avons le capital humain en termes d’offres de compétences. Ainsi, nous avons des formations de courte durée et des formations continues pour ceux qui sont déjà dans l’entreprise. Nous avons donné des réponses positives à des entreprises qui voulaient employer des jeunes qui n’avaient pas les compétences. A Diogo, par exemple, nous avons formé des jeunes sur neuf nouveaux métiers pour pouvoir travailler dans l’exploitation du zircon.

De façon concrète comment les nouveaux corps de métiers seront pris en compte ?

Nous devons, en termes d’offres de formations et de compétences, être en avant sur tout ce qui se passe au Sénégal. C’est pourquoi le président de la République nous a donné comme mission d’élargir notre champ d’activités. Nous n’avions qu’un seul lycée technique et minier à Kédougou. Aujourd’hui, nous allons y rajouter tout ce qui est mine, pétrole, gaz, chimie et pétrochimie.

Nous allons développer ces nouveaux métiers, pas au niveau ingénieur, mais intermédiaire. Nous sommes en train de finaliser ces curricula avant que le gaz n’arrive, pour ne pas aller chercher ces compétences ailleurs. Nous sommes aussi en train de mailler le pays en centres de formation technique et professionnelle. C’est pour vous dire que l’adéquation emploi-formation tant vantée n’était jusque-là qu’un slogan. Maintenant, elle est devenue une réalité. Il y a des mécanismes pour arriver à l’adéquation emploi-formation. D’autres pays l’ont réussie, pourquoi pas nous ? C’est ce qui nous a poussés à identifier trois secteurs prioritaires où nous n’avions presque rien : le tourisme, l’horticulture et l’aviculture. Nous allons créer des centres d’excellence pour ces métiers.

La nouveauté est que nous ne gérons pas seuls ces centres, nous les avons organisés sous forme de clusters, c'est-à-dire des groupes de centres. Ce sont les privés qui se sont organisés en Conseil d’administration. Ils travaillent avec nous sur les filières, le nombre d’apprenants, les niveaux de qualification requis, etc., parce que ce sont les professionnels de ces secteurs qui connaissent les besoins en termes de compétences et de création de petites et moyennes entreprises (Pme).

Avez-vous les moyens de votre ambition ?

Le financement est déjà disponible, toujours dans le cadre du projet Fpec, avec l’Agence française de développement (Afd) et la Banque mondiale. C’est un gros projet de 37 milliards de FCfa. Nous avions aussi remarqué que les niveaux de formation au Sénégal commençaient du Cap au Bts dans la formation professionnelle. Pourtant, nous avons des milliers de jeunes qui sont dans nos « daaras », d’autres qui n’ont jamais été à l’école, etc. Ces jeunes ne peuvent pas directement aspirer à un Cap. C’est la raison pour laquelle nous avons inventé un nouveau diplôme appelé Certificat de spécialité. C’est une formation qualifiante de courte durée et accessible à tous. Lors des examens du Bts/industrie, j’ai fait le tour de quelques centres et j’ai constaté que dans la filière froid et climatisation, nous ne pouvons même pas satisfaire la demande. Nous sommes en train de former, mais avant que les jeunes ne sortent de l’école, on leur propose des emplois. Cela veut dire que c’est nous qui avons la marge. Je vous ai dit que nous sommes à 55.000 apprenants. Notre objectif est d’aller à 200.000 pour faire face à ce déficit. Concernant les Certificats de spécialisation, nous avons l’ambition de former 10.000 jeunes. Le projet dure quatre ans. Ce sont ces 10.000 jeunes, plus les sortants de nos lycées avec le Cap, le Bep ou le Bts, qui seront les artisans de demain. En plus, dans le pôle des métiers de Diamniadio, 54 nouveaux métiers seront créés. Cela veut dire que les compétences qui nous manquaient vont être trouvées.

Concernant l’artisanat, qu’en est-il du projet sur le mobilier national ?

L’artisanat est un secteur essentiel pour développer l’économie du Sénégal. Dans certains pays, on dit que le premier employeur, c’est l’artisanat. Quand nous avons fait l’état des lieux avec nos artisans, nous sommes arrivés à la problématique des quatre F (Formation, Financement, Foncier, Formalisation). Du coup, nous avons voulu remettre au goût du jour un décret qui date de 1997 et qui parlait de mobilier national. Ce décret a existé de 1997 à 1999 avant d’être rangé. L’objectif était de créer le mobilier national, mais en pensant uniquement à la dimension culturelle. Le président de la République a décidé qu’on ressorte ce décret en y rajoutant l’accès à la commande publique dans la mécanique, la menuiserie, la couture, etc. C’est un budget extrêmement important. Nous avons alloué à nos artisans environ 15 % de ce budget. Jusque-là, c’est devenu une réalité. Les artisans ont eu accès à la commande publique. Dans la loi de finances rectificative qui vient de passer, le président de la République a décidé d’allouer deux milliards de FCfa de plus à l’artisanat. Une partie de cette somme concerne l’accès au mobilier national. L’autre est consacrée au financement en fonction des projets que nous allons valider. Donc, en dehors du budget, le président a voulu remettre encore deux milliards de FCfa à l’artisanat. Mais la nouveauté est plutôt l’organisation de l’apprentissage. Pour cela, nous avons créé, dans chaque région, un Comité régional de l’apprentissage, sous la supervision du gouverneur. Nous avons identifié 2.100 ateliers qui travaillent avec nous. Et dans chaque atelier, il y a cinq apprentis. Cela fait plus de 10.000 jeunes qui sont en train d’être formés. Ces ateliers ont été équipés et les maîtres artisans ont été certifiés. Ces jeunes peuvent, demain, créer leurs propres entreprises.

SOURCE : LE SOLEIL
Mardi 23 Août 2016




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