MANAR SALL : « On devrait dire plutôt malédiction des ressources naturelles ». Si 1% de la population d’un pays veut accaparer 100% des ressources d’un pays, comment voulez-vous que cela ne se transforme pas en malédiction ?

Ce que nous faisons subir aux populations en ce qui concerne les conséquences sanitaires, est inacceptable »


Dans ce second jet de l’entretien exclusif qu’il nous a accordé, l’expert en hydrocarbures Manar Sall évoque les questions d’actualité qui agitent le secteur du pétrole dans notre pays et en Afrique. Le Ceo de Powex Energy aborde la question agitée et qui fait au débat sur le risque « de la malédiction du pétrole ». 
La sortie du PM Dionne relève de l’exercice pour rassurer que le Sénégal ne vivra pas cette malédiction. Manar Sall analyse froidement ce risque et fustige l’accaparement des ressources par une minorité.
L’affaire du dirty diesel et les leçons qu’il faut en tirer, a aussi intéressé l’expert Manar Sall qui décortique ici le rôle et la responsabilité de l’Etat dans cette affaire.

Affaire du carburant toxique


« Pour le cas du diesel toxique, n’est-ce pas une certaine désinvolture face aux problématiques environnementales qui a prévalu » ?

Manar Sall : « Par rapport à cette question, il convient de faire attention. Ce n’est pas parce que quelqu’un nous dit qu’il a effectué des  tests et qu’il a constaté des résultats supérieurs à 300 fois le PPM exigé, que c’est forcément vrai. Maintenant, une chose est sûre, c’est que dans des pays comme le Sénégal, il y a des organisations censées définir les spécifications des produits qu’on peut introduire au Sénégal. Et ce n’est pas valable que pour le pétrole. Aujourd’hui, un pays peut dire, et c’est bien là le problème africain, que «  si l’environnement est important au Nord, ce n’est pas si important pour nous ». Ce qui se passe dans l’environnement en Afrique, ce que nous lui faisons subir, et aux populations en ce qui concerne les conséquences  sanitaires, est incompréhensible et inacceptable. J’espère que nous nous rendrons compte bientôt du besoin de gérer autrement l’environnement, et de la nécessité de le mettre à un niveau qui permettra à nos enfants de continuer à vivre sainement.
Donc, si aux  Etats-Unis, ou en Europe, il n’est pas permis d’utiliser du diesel avec 15 PPM pour la teneur en souffre, et que nous africains, on en accepte 500 ou 1000 PPM, on ne peut pas  reprocher à un trader de nous livrer des produits à 500 ou 1000 PPM de teneur en souffre. Il revient à nos gouvernants et à ceux à qui incombe la gestion de la chose publique, de mettre en place une réglementation qui empêchera ces traders de venir nous «fourguer» n’importe quoi.

 
 Responsabilité de l’Etat dans cette crise


 « Quelle est la responsabilité de l’état sénégalais dans cette sombre histoire de fuel toxique?

Manar Sall :
 Pour rester dans la même veine, et je pense que c’est un évènement malheureux qui a pu déclencher une telle étude de l’ONG Public Eye. En 2006, il y a eu l’affaire du Probo Koala en Côte d’Ivoire, où des déchets toxiques, issus de produits pétroliers, ont été envoyés en Afrique, après moult refus d’autres pays européens notamment. Ces produits toxiques ont été réceptionnés par une société créée en un mois seulement par un ivoirien, qui a éparpillé ces déchets autour de la Lagune Ebrié à Abidjan. Résultat : 17 morts et  des milliers de personnes impactées et marquées à vie. Pour un scandale de la même ampleur dans le Golfe du Mexique, il a coûté à British Petroleum, BP, 20 milliards  de dollars. La Côte d’Ivoire n’a reçu « que » 100 milliards de francs Cfa d’indemnisation. Voilà le problème. Si nous, africains, acceptons que le niveau de la réglementation soit extrêmement bas, que la pollution de l’air ne soit pas un problème pour nous et pour la santé de nos concitoyens, que l’on peut accepter de recevoir du carburant avec un PPM supérieur à 50, ou 500 ou 1000, on ne peut pas  en vouloir à un trader qui cherche à se faire de l’argent.
On ne peut pas nous faire croire qu’une vie humaine africaine n’a pas la même valeur qu’une vie humaine sur un autre continent. Nous devons nous mettre au même niveau d’exigences que tous les pays européens ou américains. Nous devons cesser de penser qu’en l’espèce, Dieu nous aidera à vivre avec des standards moins élevés que dans les pays développés. Il serait temps que nos responsables comprennent qu’on doit développer une politique liée à l’environnement, au bien-être des citoyens sénégalais, et qu’on ne peut pas transiger avec cela.
 
 
La Malédiction pétrolière


 « Nous serons bientôt terre pétrolière, comment éviter ce qu’on appelle la malédiction pétrolière » ?

Manar Sall : « On devrait dire plutôt « malédiction des ressources naturelles ». Le problème est simple. Si 1% de la population d’un pays veut accaparer et gérer 100% des  ressources d’un pays, comment voulez-vous que cela ne se transforme pas en malédiction ? Comment un pays qui découvre que son sous-sol est riche, qu’il peut en extraire du pétrole, des minerais précieux, les  exporter et gagner de l’argent, et que le chef de cet état n’ait que l’idée de s’enrichir personnellement avec sa famille et son clan, qu’il laisse le reste de la population étrangement pauvre, comment voulez-vous éviter une malédiction ? Cette malédiction commence par eux, même si le court terme leur laisse à penser que tout baigne et que tout va bien pour eux, mais plus tard, on a toujours vu les mêmes résultats et les mêmes chutes morbides. « Tant va la cruche à l’eau, qu'à la fin elle se casse », dit l’adage. Tant qu’on n’aura pas des dirigeants qui peuvent comprendre que la chose publique ne peut pas se gérer de façon familiale ou clanique, que la politique n’est pas un viatique pour la richesse, tant qu’on ne sortira pas de  ce  schéma-là, je ne vois pas comment nous profiterons de nos richesses naturelles. Gérons déjà bien le peu de ressources  que l’on a, ça nous aidera à mieux gérer encore plus de ressources et de richesses.
 
Projet éthique de votre compagnie


« Quel sera le projet éthico-écologique de la compagnie que vous avez créée, notamment en termes de respect des spécifications » ?

Manar Sall : « Quand j’étais dans les majors, je pouvais apprécier qu’elles offraient un bon service aux africains. Je pense donc qu’une société nationale, africaine ou panafricaine, se devra de mieux encore servir les africains, c’est cela qui est logique. Dans certains pays développés, les conducteurs se servent eux-mêmes, ici, nous avons les pompistes, ses  salutations, ses  sourires, il vous connaît, votre épouse aussi, vos enfants, tout cela rend l’expérience dans nos stations-services plus humaine. Nous devons proposer aux  sénégalais un meilleur service, et je ne pourrai me permettre de proposer un service qui fasse du mal à mes compatriotes ou à mes congénères africains, parce que je vis dans le même environnement qu’eux. Ne pas  le faire ne correspondrait à rien d’éthique. En ce qui concerne l’implantation de Powex  Energy au Sénégal, on est en négociations, mais rien ne presse. Nous pensons nous étendre dans une trentaine de pays, mais ici, le réseau est assez dense, on ne va pas  en rajouter coûte que coûte. Il y a une vingtaine de marketeurs sur un petit marché, parce qu’on a donné des agréments à des personnes qui n’avaient rien à faire dans ce secteur, d’autant plus que certaines sociétés locales telles que Elton, faisaient déjà un excellent travail.




 
Mercredi 21 Septembre 2016




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