Les « monnayeurs » de Dakar à l’épreuve du grand banditisme : La longue série noire des cambistes continue…

Vols à l’arrachée, empoisonnement, braquages, agressions, extorsion de fonds et gages sur fond d’arnaque… les cambistes de Dakar sont à la peine, assurément. Prompts à mordre à l'appât du gain facile et rapide, ils se font constamment avoir, leur vigilance ne s’exerçant réellement que lorsqu’il s’agit de repérer les faux billets de banque où ils s’y connaissent comme des dieux détecteurs ! Pourtant, ces cambistes sont en général de braves jeunes gens ou adultes d’âge mûr, voire des vieillards, qui gagnent honnêtement leur vie bien que s’activant, pour la plupart, dans l’informel. Avec le vol à l’arrachée survenu devant une agence de la banque Orabank, la longue série noire des monnayeurs continue assurément… « Le Témoin » vous replonge dans quelques-uns des plus sinistres traquenards tendus aux cambistes de Dakar ces dix dernières années.


Les « monnayeurs » de Dakar à l’épreuve du grand banditisme : La longue série noire des cambistes continue…
Les cambistes, le scooter et la sacoche à devises
L’affaire du vol à l’arrachée d’une sacoche renfermant une somme de 160 millions fcfa devant l’agence Orabank de la rue Carnot x Jean Jaurès n’est que le dernier en date d’une longue série  de cambriolages qu’ont subis les cambistes de Dakar ces dix dernières années. Il faut dire que ces monnayeurs de l’informel qui s’activent dans la rue ou des échoppes de fortune manipulent d’importantes sommes en devises qui les exposent à toutes formes de criminalités.  Poumon de l’activité économique de la capitale, le marché Sandaga a toujours été un carrefour de change où circulent toutes les devises du monde. Des activités « illégales », mais tolérées par le législateur du fait de l’absence de bureaux de change agrées en nombre suffisant dans les quartiers et marchés de Dakar. Toujours est-il que les cambistes clandestins amassent certes des fortunes, mais encourent des risques énormes de par leur indiscrétion. Exemple : le cas des cambistes d’Orabank où les malfaiteurs avaient pris en filature leurs victimes, saboté leur scooter avant de passer à l’acte c’est-à-dire arracher leur sac contenant 250.000 euros. Si les malfaiteurs ont « réussi » leur coup, c’est parce qu’ils avaient muri et préparé l’opération du fait qu’ils sont, eux-mêmes,  des cambistes-racoleurs connaissant les moindres déplacements de leurs collègues.   Un scénario de grand banditisme  que la police a mis à nu avant de démanteler la bande en un temps record. Il s’agit de deux individus répondant aux noms de Doudou Ndoye et Cheikh Fara Yola, tous domiciliés à la Médina. Faisant d’une pierre deux coups, les policiers se sont rendus immédiatement au quartier Niary Tally pour procéder à l’interpellation de la dame Oulimata Niang, âgée de 60 ans, mère du second braqueur. Accusée de recel et interrogée, la sexagénaire a déclaré que les 2.778.000 fcfa retrouvés dans son armoire lui ont été remis par son fils Cheikh Fara Yola, en fuite.

Les cambistes, le Chinois et la boisson empoisonnée

Le dimanche 11 janvier 2008, les cambistes Alla Faye et Mbaye Ndour, s’activant à la rue Raffenel x Thiong à Dakar, véritable place forte du change informel dans la capitale, étaient retrouvés en état de putréfaction avancée dans le coffre arrière d’un véhicule de marque Mercedes, à la Sicap Liberté VI.   Le cerveau de ce crime odieux et barbare n’était autre qu’un commerçant chinois du nom Chian Houg établi aux allées du Centenaire à Dakar. « Le Témoin »,alors hebdomadaire, en avait fait la révélation. En fait, les deux cambistes étaient tombés dans un redoutable  piège. Par l’intermédiaire d’un gérant de télécentre (à l’époque ces cabines publiques existaient) établi au quartier Hamo, le ressortissant chinois Chian Houg avait pris contact avec les nommés Cheikh Kane et Youssou Badji, pour qu’ils contactent Alla Faye et Mbaye Ndour exerçant la profession de cambistes et officiant à la rue Raffenel. Et comme Alla Faye et Mbaye Ndour connaissaient ceux qui les avaient appelés, ils ne doutaient pas de leur bonne intention.  Surtout que le Chinois Chian Houg se faisait passer pour  un « richissime » homme d’affaires qui s’activait également dans le trafic des visas d’entrée pour l’Europe et les Usa pour le compte de ses compatriotes asiatiques désirant émigrer dans ces deux pays ou continents via Dakar. Mieux, Chian Houg avait l’habitude de faire des opérations de change atteignant parfois des montants de 300 millions fcfa. Attirés par le gain facile,  Alla Faye et Mbaye Ndour avaient réussi à collecter rapidement 500 millions fcfa ou un demi-milliard fcfa en euros auprès d’autres collègues pour un change en francs cfa que voulait le Chinois.  L’argent dans des sacoches,  ils s’étaient rendus à la station Mobil du Point E, plus précisément sur la terrasse du fast-food « Nandoo’s » où ils ont attendu le Chinois Chian Houng et ses complices sénégalais. C’était le vendredi 9 janvier 2008. Ensemble, tout ce beau monde avait pris la route des Almadies en passant par  Ouakam. A bord d’une voiture de marque  « Volkswagen Golf » louée pour l’occasion,  ils avaient décidé de se désaltérer  dans une buvette en bordure de route. Trompant la vigilance d’Alla Faye et de Mbaye Ndour, le Chinois avait réussi à introduire dans leur boisson  un poison qu’il avait caché sous sa bague.   Arrivés à la pointe des Almadies, c’est-à-dire derrière le Club-Med,  près de la plage, les cambistes et leurs drôles de clients se  sont mis à compter les devises à bord de la Mercedes de Mbaye Ndour. Quelques minutes après, le produit avait fait son effet mortel. Alla Faye et Mbaye Ndour piquèrent ainsi un malaise, suivi d’une mort subite. Entassés dans la malle arrière de la Mercedes, les deux corps avaient été transportés et abandonnés à la Sicap Liberté 6 où ils ont été découverts  deux jours plus tard, c’est-à-dire le dimanche 11 janvier  par les riverains intrigués par la mauvaise odeur qui sortait du véhicule.  Alertés de cette découverte macabre, les éléments de la Sûreté Urbaine de Dakar, dirigée à l’époque par le commissaire Modou Diagne, se sont dépêchés sur les lieux.  Après une enquête rondement menée, en moins de quarante huit heures, les policiers ont réussi l’exploit de procéder à l’arrestation des assassins ayant à leur tête un certain Cheikh Kane (condamné en cour d’assises depuis). Quant à Chian Houg,  le cerveau de la bande, il avait pu prendre la fuite en passant par la Gambie voisine. Localisé en Chine par Interpol, il n’a jamais fait l’objet d’une extradition, faute de convention entre les deux pays.
 
Le voleur, le change et la 4x4 du ministre Djibo Ka

« Le Témoin », toujours lui, a été au cœur de cette rocambolesque histoire de véhicule volé et mis en gage, une opération dans laquelle un cambiste avait perdu une somme de sept millions fcfa. Les faits :  Courant 2005, nous sommes au quartier résidentiel des Almadies. Et précisément devant la résidence  du ministre d’Etat Djibo Ka, alors ministre de l'Économie maritime sous l’ancien régime de Me Abdoulaye Wade. Comme tout leader de parti,  Djibo Ka se faisait toujours assaillir par ses militants et autres personnes en détresse sociale. Ce jour-là, comme d’habitude, ces nécessiteux faisaient le pied de grue devant le domicile du ministre et profitaient de sa moindre sortie pour lui poser leurs problèmes sociaux. Dans ce lot, un voleur  qui se faisait passer pour un militant de Djibo Ka. Aux environs de 14h, les gardiens  ne pouvaient pas ne pas l’inviter au déjeuner de masse que partageaient domestiques, militants, chauffeurs et jardiniers, tout un beau monde qui s’est retrouvé au garage pour se restaurer. Profitant de l’inattention d’un des chauffeurs, le voleur piqua la clé d’une rutilante voiture 4x4 garée devant la maison et appartenant au ministre Djibo Ka. Jusque-là, le chauffeur  (un Sérère sûrement !) ne savait pas que la clé qu’il avait rangée dans une de ses chaussures le temps d’un repas, venait d’être dérobée et qu’elle avait servi à emporter la voiture garée devant le domicile. A bord de ce rutilant 4x4, l’individu avait filé directement à l’aéroport de Dakar-Yoff où il s’est fait passer pour un homme d’affaires désirant changer sept millions fcfa de devises (euros). De bouche à oreille, les jeunes cambistes de l’aéroport sonnent la mobilisation des fonds. Un chef cambiste du nom de Kamal Tall, officiant en toute légalité dans le milieu des antiquaires de l’aéroport, est désigné par ses pairs pour mener l’opération. Invité à bord du 4x4 par l’homme, Kamal Tall lui remet une somme de sept millions fcfa dans l’attente de ses euros. Pour mieux gagner la confiance de Kamal, l’individu le confine dans la voiture stationnée sur le parking.  Pour mieux le ferrer, l’homme a laissé la voiture au ralenti, histoire de lui faire savoir qu’il s’agit d’une question de minutes. De 16 h jusqu’à 18h, Kamal Tall a attendu le gars sans désespérer et sans douter surtout que cette imposante 4x4 neuve dans laquelle il se trouvait  valait au bas mot 50 millions fcfa. Justement, c’est à cet instant que « Le Témoin »  a joint Kamal, une veille connaissance, pour un change destiné à un reporter devant voyager. C’est ainsi que Kamal Tall nous a raconté sa mésaventure.   « Jusqu’à présent, je suis dans la voiture du gars pour l’attendre alors qu’il est déjà parti avec mes 7 millions fcfa » avait-il raconté sur un ton de désolation. Ayant flairé un coup, « Le Témoin »  avait contacté une haute autorité de la gendarmerie pour l’informer de la mésaventure de Kamal. « Mais comment ! Mais, la gendarmerie vient juste de lancer un message radio concernant la voiture de Djibo Ka volée… » avait expliqué l’officier de gendarmerie avant d’alerter la brigade de Dakar-Yoff. Transportés sur les lieux, les gendarmes ont entendu Kamal Tall pour sa version des faits. D’ailleurs, l’information avait fait la Une du « Témoin » de cette semaine-là. Joint au téléphone hier depuis Barcelone où il se trouve présentement, Kamal Tall se souvient bien sûr de cette rocambolesque histoire. «  D’ailleurs, faute de pouvoir rembourser mes collègues, j’ai dû émigrer ! Djibo Ka avait promis de m’aider, mais rien ! Et le voleur n’a jamais été retrouvé… »  nous explique l’ancien cambiste de Yoff joint depuis Barcelone. Cambiste à Dakar, un dur métier, assurément.

« Le Témoin » quotidien
Vendredi 29 Mai 2015




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