Le président corrompu du Guatemala s'accroche à son fauteuil

Des manifestations massives ont exigé jeudi la démission d'Otto Pérez Molina, accusé de détourner à son profit une partie des ressources fiscales de l'Etat.


Dans un pays peu habitué aux mobilisations de rue, c’est du jamais vu : 100 000 personnes ont défilé jeudi sur la place de la Constitution de Ciudad de Guatemala pour réclamer la démission du président Otto Pérez Molina,impliqué dans un énorme scandale de corruption : la justice le soupçonne d’être en personne à la tête d’une organisation mafieuse chargée de détourner les recettes des taxes douanières. Dans la même affaire, son ex-vice-présidente, Roxana Baldetti, démissionnaire en mai, est en détention depuis quelques jours. Dans la soirée de jeudi, le Président répétait sur l’antenne de Radio Sonora ce qu’il avait proclamé dimanche lors d’une intervention télévisée : il est innocent des délits dont on l’accuse et se soumettra à un éventuel procès mais il exclut de démissionner.

 

Tous les secteurs de la société guatémaltèque avaient appelé à la journée d’action jeudi, très suivie aussi en province. Le patronat, l’Eglise catholique, les syndicats, le monde de l’éducation (étudiants et enseignants), les représentants du monde indigène (40% de la population), des sportifs et des artistes, comme la chanteuse pop-soul Gaby Moreno, dont la carrière décolle aux Etats-Unis. De nombreux commerces avaient baissé le rideau de fer, de même que les enseignes McDonald’s et Domino’s Pizza.

FUITE À PANAMA

Depuis plusieurs mois, le Ministerio Publico (parquet), sous l’impulsion de sa nouvelle présidente, Thelma Aldana, et la Commission internationale contre l’impunité (Cicig), mise en place en 2006 par l’ONU, livrent régulièrement le point sur leur enquête. Quelque 89 000 écoutes téléphoniques ont permis d’établir que des entreprises importatrices se voyaient proposer une baisse des taxes douanières en échange de dessous de table. Selon les enquêteurs, 50% de ces ressources fiscales ont disparu dans les poches d’un petit groupe dont l’organigramme a été identifié : à sa tête, le président, la vice-présidente et son chef de cabinet, actuellement en fuite à l’étranger. Le scandale a pris le nom de La Linea, la ligne téléphonique qui mettait en relation les importateurs et les fonctionnaires soupçonnés de corruption.

Depuis samedi 22 août, six des quatorze ministres d’Otto Pérez ont donné leur démission. Les deux derniers, jeudi, ne sont pas les moindres : les titulaires de l’Intérieur et de la Défense, anciens militaires comme Pérez, étaient réputés ses plus proches collaborateurs. Ils ont pris un avion pour le Panamá, destination qui ne doit rien au hasard : ce pays n’a pas de traité d’extradition avec le Guatemala.

LE PRÉSIDENT JOUE LA MONTRE

Lâché de partout, Otto Pérez Molina, général en retraite de 64 ans, peut encore compter sur le Congrès. Le 14 août, il a échappé à la levée de son immunité, la majorité des deux tiers des voix nécessaires n’étant pas réunie. Appelé à se prononcer à nouveau, la chambre unicamérale a décidé vendredi de nommer une commission d’enquête qui devra rendre ses conclusions sous soixante jours. Une levée de son immunité n’obligerait pas Pérez Molina à démissionner, mais permettrait à la justice de l’entendre et, si besoin, de l’inculper.

Otto Pérez Molina joue la montre et espère tenir jusqu’au 6 septembre, date de l’élection présidentielle qui doit décider de son successeur appelé à entrer en fonction en janvier. Lui-même ne peut pas se représenter mais les appels au report du scrutin se multiplient, jugeant le climat actuel peu favorable à un processus électoral serein.

Libération

Vendredi 28 Août 2015




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