Laser du lundi : Yaya, le despote borné… et roué (Par Babacar Justin Ndiaye)


La Gambie a-t-elle servi, au monde entier, une avancée ou un arrangement démocratique ? En tout cas, les observateurs en sont successivement tétanisés de stupeur et de satisfaction. La preuve est ainsi administrée que Yaya Jammeh reste le parangon du despotisme et le prince de la rouerie, à travers ce numéro – habilement exécuté – de prouesse politique très voisine de l’alchimie voire de la sorcellerie. Superbe dictateur, le lundi, Yaya Jammeh s’est métamorphosé en super-démocrate, le week-end, de la même semaine. Salut et adieu, l’artiste sinistre et séduisant !


Banjul est, en effet, le théâtre d’une manœuvre politique millimétrée, planifiée et, surtout, pilotée avec l’inévitable dose de cynisme caractéristique de l’action politique. A mille lieues de l’improvisation, c’est un tyran rusé, en l’occurrence Yaya Jammeh, qui a liquidé physiquement le faucon de l’opposition (Solo Sandeng), embastillé le patriarche de la scène politique (Ousainu Darboe), sélectionné et, in fine, adoubé un adversaire non emblématique – sans passé ministériel ni parlementaire – pour en faire un concurrent falot et un vrai complice dans un processus plus proche de la collusion que de la collision électorale. L’odeur du deal est tenace. Mais, il s’agit d’un deal curatif pour un pays avide de guérison. L’arrangement démocratique, indiscutablement et proprement validé par les urnes,  n’est-il pas préférable à l’orgie de violences ?  


A défaut d’érudition, le grossier et rustre Yaya Jammeh est manifestement  habité par un bon sens immense. Après avoir dansé, tout seul, un tragique twist, il a déniché un parfait partenaire pour le tango de l’épilogue de sa carrière. Un tango de la tromperie, en lieu et place, de la valse de la sincérité. Avec un résultat d’autant plus crédible que le docker du débarcadère de Banjul aurait battu le Président sortant dans un scrutin non entaché de fraudes. Néanmoins, la prestidigitation est si prodigieuse que le vaincu de l’élection fait davantage de « buzz » que le vainqueur. C’est l’histoire de l’échec aux couleurs du succès. Normal : les dictateurs mis en ballotage sont inexistants, à fortiori, les tyrans électoralement battus. Bref, Yaya a ravi la vedette à son tombeur, Adama Barrow. Et, surtout, étalé, au grand jour, une ingéniosité – jusque-là –  parfaitement camouflée.


Il s’y ajoute qu’un regain de lucidité, comme celui-ci, n’est jamais fortuit chez les despotes habituellement paranoïaques. Deux anguilles sont bien présentes sous la roche gambienne. La première est perceptible sans microscope. En effet, Yaya Jammeh sait comment on accède au pouvoir en Afrique : soit par la baïonnette, soit par le bulletin de vote. Même ceux qui ont remplacé automatiquement leurs pères (Faure, Kabila et Ali) n’ont pu le faire que protégés et épaulés par la forêt de baïonnettes de leurs Gardes prétoriennes respectives. En revanche, la question « léninienne » est toujours actuelle et ardue : que faire pour quitter le pouvoir, sans aller au cimetière (les ex-Présidents François Tombalbaye et Baré Maïnassara) ni atterrir dans une cellule (Moussa Traoré et Hissène Habré) ou alors végéter dans un exil, sans fin, comme Mengistu Hailé Mariam et Ould Taya ? L’ex-homme fort de Banjul a trouvé la réponse provisoire dans un scénario qui brise, en sa faveur, la quadrature du cercle. Les propos alambiqués et contradictoires du Président élu Adama Barrow, laissent entrevoir une clémence fermement programmée sans être publiquement assumée. Le tombeur de Yaya est, en effet, pris en sandwich entre la fureur hurlante des victimes de la dictature et la nécessité de mixer la finesse et la souplesse politiques dans une conjoncture où l’ordre militaire ancien est encore prépondérant.

Moins su, plus décisif et vraiment déterminant dans l’accélération surprenante des évènements, est le cancer du cerveau dont souffre silencieusement l’illustre fermier de Kanilaï. Une maladie ponctuée par des séquences espacées mais sévères d’agitations et de comas. Information donnée par un de ses gardes du corps réfugié dans un pays de la sous-région. Un excès de bavardage qui a valu à ce dernier (le garde du corps indiscret) une tentative d’enlèvement par un commando nautique de la NIA. Par ailleurs, le rapport de forces incline tous les acteurs nationaux et les amis étrangers au réalisme, synonyme de détente politique, loin de la spirale des représailles et du cycle des vengeances. Après tout, Yaya Jammeh a été le chef des Forces armées, depuis vingt-deux ans, et le bâtisseur des redoutables services secrets : la fameuse et brutale NIA. D’où la nécessité, pour le Président élu, de conjurer le syndrome de la SECURITATE roumaine, la Police secrète de Nicolae Ceausescu qui avait livré et perdu la bataille meurtrière de Bucarest en, 1989, lors de la sanglante chute du Génie des Carpates. De façon ramassée, Yaya est un guépard par terre et non un guépard sous terre. Donc un fauve à ménager. 


Telle une secousse tellurique, l’affaissement – même démocratique et pacifique de Jammeh – bouleverse le panorama politique à l’intérieur de la Gambie et diffuse des ondes de choc hors des frontières du minuscule Etat, notamment en Casamance où nombre de rebelles du MFDC se sentent brusquement orphelins. Un tournant qui n’éteint pas le séparatisme armé dans le sud du Sénégal, mais lui supprime, ce que les militaires appellent « la profondeur stratégique », c’est-à-dire ce sanctuaire ou cette base de repli offerte par la géographie et confortée par les régimes qui se succédé, jusque-là, à Banjul. Sur ce chapitre, Dakar attend et espère beaucoup du Président Adama Barrow. Cependant, le Président Macky Sall doit, en priorité, aider son nouveau collègue à peaufiner son image de Président de la Gambie et non à enfiler promptement le paletot de poulain du Sénégal. Par conséquent, différer (sans annuler) une visite à Dakar, serait plus convenant à l’égard du nationalisme ombrageux qui frise périodiquement l’anti-sénégalisme primaire.    


Au-delà du Sénégal, les observateurs scrutent les faits et gestes de Mme Fatou Bensouda, la frénétique Procureure de la Cour Pénale Internationale (CPI) qui, malgré son activisme flamboyant sur le terrain des droits de l’homme, fut la ministre de la Justice du dictateur Yaya Jammeh. Celle qui avait menacé Cellou Dalein Diallo – un opposant sans armée, sans police sans milice – des foudres de la justice internationale, au lendemain d’un scrutin truqué, songe-t-elle à embarquer Yaya Jammeh en direction de La Haye ? Un test probant et périlleux à l’heure où le grand désamour s’installe entre certains Etats africains et la CPI.       
  
Lundi 5 Décembre 2016




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