Laser du lundi : Revue des facettes et des péripéties du procès de Karim Wade (Par Babacar Justin Ndiaye)


Laser du lundi : Revue des facettes et des péripéties du procès de Karim Wade (Par Babacar Justin Ndiaye)
Il n’est pas convenable, pour un citoyen nanti d’esprit hautement républicain, de parler d’une affaire encore pendante devant la justice, à fortiori, de faire le procès d’un procès en cours. Voilà pourquoi, un chroniqueur chroniquement imbu de respect pour l’institution judiciaire, s’astreint au laconisme. A contrario, il est lui est loisible d’être loquace sur les facettes qui ont frappé les observateurs ou les péripéties qui ont peiné beaucoup de personnes indissociables du peuple au nom duquel le droit est dit ;  et la justice est distribuée. Du coup, les deux débats sur l’existence ou l’inexistence, la légalité ou l’illégalité de la CREI, relèvent de la casuistique, et sont volontiers laissés aux orfèvres du droit ou aux jésuites des lois. Focus sur les faits qui ont marqué – et de quelle manière ? – les longs mois du procès de l’ancien ministre d’Etat et non moins fils du Président Abdoulaye Wade.     

Au commencement, un discours à tonalité politique et d’impulsion officielle a grandement desservi la justice, en alléguant que la traque des biens mal acquis est une demande sociale. L’affirmation est plus péremptoire (voire politicienne) que prouvée, car un vote – même massif  à hauteur de 65% – n’a pas valeur de sondage spécifiquement pertinent sur les désirs détaillés des électeurs sénégalais. Dommage que les tenants de cette thèse fortement officielle ne voient guère la monstruosité qui s’y niche ! En effet, cet argument postule que la mise en branle de la redoutable machine judiciaire reste primordialement tributaire des émotions populaires qui sont changeantes sous tous les cieux.

Alors, bonjour la justice populiste et démagogique ! Du reste, que ferait l’Etat de droit si un réel sondage – trois ans après la défaite de du Président Abdoulaye Wade –  dévoilait, de façon irréfutable, un rejet populaire de la traque ? Et pourtant la reddition des comptes est un impératif de bonne gouvernance à laquelle les citoyens tiennent normalement. A condition, évidemment, que la reddition des comptes et le règlement de comptes ne nouent pas un lien copulatif.  A ce propos, il est historiquement bon, juste et utile de rappeler que le Président Abdou Diouf, père de cette loi de 1981, n’avait jamais placé la répression de l‘enrichissement illicite sous l’angle d’une quelconque demande sociale. Bien au contraire. Il s’agissait d’une loi foncièrement anti-barons socialistes. Le but était de faire passer, sans accrocs, la pilule amère de l’article 35.

L’autre facette du procès de Karim Wade étale un effarant déficit d’expertise technico-financière. Certes, il est plus difficile pour un magistrat sénégalais, de surcroit non spécialisé,  de fouiller un paradis fiscal que d’explorer l’Amazonie, mais une cour comme la CREI pouvait davantage peaufiner son travail, afin d’être à la hauteur de ces génies de la ventilation, de la dissimulation et de la dissipation de milliards (les présumés coupables Karim Wade et Bibo Bourgi) qui dissèquent savamment les montages financiers et les agrégations de capitaux en balade, dans un jargon trop hermétique pour le Président Henri-Grégoire Diop et ses assesseurs.

Par ailleurs, la CREI qui piste les milliards pour le budget du Sénégal est, elle-même, budgétivore. Ses commissions rogatoires et ses experts reviennent bredouilles, après avoir répertorié des comptes vidés la veille de leur arrivée. Preuve qu’il faut beaucoup de temps et davantage d’experts (toute une équipe de sapiteurs sous les ordres de Pape Alboury Ndao) pour ratisser la cité-Etat de Singapour, la principauté de Monaco et les iles Caïmans. En définitive, la bonne cause que constitue la reddition des comptes est si judiciairement mal prise en charge qu’elle ressemble à une coûteuse bêtise dont le gouvernement est coupable. Le Président Houphouët Boigny disait : « L’incompétence est pire que le sabotage ». Autrement dit, un saboteur invétéré est préférable à un incompétent de bonne volonté.     

Le chapitre des péripéties est fâcheusement plus fourni que celui des facettes  de ce procès plein de remous. Parmi celles-ci (les péripéties) figure le limogeage du Procureur Alioune Ndao. Transposée dans le domaine mécanique, une telle sanction équivaut à la détérioration subite de la barre d’accouplement d’un camion roulant à tombeau ouvert. Le cocasse, ici, est qu’on dégage un procureur énergique. Le fait est vraiment inhabituel quand on sait que la chancellerie aime plus les procureurs zélés que les procureurs modérés. Dans les tribunaux d’exception, on écarte d’habitude les procureurs qui ont des états d’âme et des manières de moines. C’est la surprise inverse à la CREI.  Moralité : un magistrat peut être plus royaliste que le Roi, à condition que son engouement pour la mission ne déstabilise pas le royaume. Une leçon que le procès de Karim Wade gratifie à tous ceux qui pâturent sur le terrain judiciaire.

La seconde péripétie est relative à l’expulsion de l’avocat Maitre Amadou Sall qui est consécutive à une polémique incontrôlée. Un magistrat qui chasse manu militari son ancien ministre ou ex-patron (Me Sall fut ministre de la Justice sous Abdoulaye Wade) après l’avoir traité de « mauvais avocat », convenez avec moi que la scène est peu courante dans les annales judiciaires du monde. Et pourtant la roue de l’Histoire tourne, comme la terre tourne depuis Galileo Galilée. Par conséquent, les opposants d’aujourd’hui seront les gouvernants de demain. Et vice versa. Combien de procès ont été engloutis dans les profondeurs abyssales de l’Histoire ? A la péripétie de l‘expulsion de Me Sall, on peut accoler, sans commentaire, la démission de l’assesseur Yaya Amadou Dia. Deux incidents qui ont porté la tension à son paroxysme dans les locaux d’une CREI que le climat doux de Dakar n’adoucit toujours pas.

Mais la plus pénible des péripéties de ce procès-marathon reste la brutalité subie par Karim Wade. On a bien raison de dire que Karim Wade est un justiciable ; mais on aura davantage dit la vérité, en ajoutant qu’il est un prévenu qui a incarné, hier, une institution ministérielle. Tous ceux qui ont eu ce privilège d’envergure nationale (avec les gouverneurs, les préfets et les gendarmes à leur disposition et au garde-à-vous) ne doivent plus être ostensiblement humiliés. Il y va de l’éclat permanent de nos institutions incarnées, à tour de rôle, par des femmes et des hommes sélectionnés et – par ricochet –  légitimés

Jusqu’à la fin de leurs vies respectives, Latif Coulibaly, Mansour Faye, Mbaye Ndiaye et Mankeur Ndiaye devront être épargnés des gifles de policiers qui, dans un passé proche ou lointain, leur ouvraient la portière. Le comportement des services de sécurité (police, gendarmerie et surveillants de prison) est l’un des indices les plus fiables du degré de civilisation d’une nation. En résumé, le Sénégal n’est pas la Guinée-Conakry des années 70. Il n’abrite pas un camp Boiro où des ministres, des généraux, des dockers, des consuls et des boulangers étaient emprisonnés, entassés (en slip) et bastonnés par des miliciens analphabètes littéralement drogués d’idéologie révolutionnaire. Par bonheur le Procureur spécial Antoine Diome épouse notre point de vue, lui qui a donné publiquement une leçon de procédure au Président déchainé de la CREI.  

« Le chemin le plus court vers l’avenir, passe par le passé » écrivit Aimé Césaire. En effet, les leçons d’hier, devraient retentir positivement sur le présent procès. Pour rappel, Mamadou Dia, Waldiodio Ndiaye, Ibrahima Sarr et Joseph Mbaye ont été accusés de tentative de coup d’Etat.  Vrai ou faux ? En tout cas, il y a eu des mouvements de troupes hors des casernes et un face-à-face tendu entre les gendarmes et les parachutistes devant les locaux de Radio-Sénégal. Comparativement, les charges retenues contre Karim Wade sont vraiment bénignes. Entre un coup de force effectivement démarré (bain de sang assuré) et des milliards laborieusement pistés, il n’y a pas de rapprochement possible.

N’empêche, sous le règne de l’humaniste Léopold Sédar Senghor, l’ancien Premier ministre et ses trois anciens ministres ont été traités, avec des attentions et des égards dignes de leurs rangs. Aucun magistrat n’a osé les rudoyer verbalement, et aucun gendarme n’a reçu l’ordre de les bousculer, à fortiori, les  frapper. Même le déroulement du procès fut serein, car Maitre Robert Badinter (avocat de Mamadou Dia et futur ministre de la Justice de François Mitterrand) garde, selon son témoignage, un souvenir impeccable et impérissable du fonctionnement de la haute juridiction d’alors. Répétons-le : les oppositions d’aujourd’hui seront les pouvoirs de demain. Gardons-nous donc de planter le décor des futurs goulags, pour nous-mêmes et pour nos enfants !   
      
 
Dimanche 15 Février 2015



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1.Posté par Tidiane Ba le 16/02/2015 00:25
Excellent article, monsieur Ndiaye. Franchement, je vous félicite pour la beauté de votre plume et la vérité de vos propos. Malheureusement, tout cela ne va pas empêcher Macky Sall de condamner Karim Wade. Président Macky Sall si vous lisez ce message, lisez le jusqu'au bout svp. Certes aujourd'hui vous êtes président, vous avez entre vos mains un pouvoir phénoménal où vous décidez du sort des gens. Mais n'oubliez pas qu'il n'y avait pas plus puissant que Pharaon, mais toute sa puissance ne lui a pas empêché de mourir le moment venu car seul Dieu est maître sur terre. Il vous donnera l'illusion du pouvoir et vous oublierez que votre pouvoir dépendra du sien. S'il décide de l'estomper, il s'évaporera à la fraction de seconde. Alors oui, retenez que la roue tourne Président, retenez que vous devez pas abuser de ce pouvoir pour bloquer un adversaire politique, détruire sa carrière, sa vie, sous prétexte qu'il a des milliards imaginaires. Nous savons que vous allez le condamner, mais faites nous plaisir, montrez nous des preuves car jusqu'à présent tout ce qu'on voit, c'est une justice manipulée. Les gens de votre entourage crient partout qu'ils vont le condamner, c'est grave dans un pays comme le Sénégal.

2.Posté par momo le 16/02/2015 03:05
Encore une fois la beautè et la pertinence de votre texte nous èblouissent, vraiment vous etes le meilleur

3.Posté par Paris75 le 16/02/2015 07:33
Bien et Macky risque d'aller à Rebeuss s'il n'est pas remplacé par un proche.
Belle chute finale et merci à Galilée.
Merci de cette plume acerbe véridique.
Encore merci pour cet exercice hautement intellectuel.
Paris vous est reconnaissant BJN.

4.Posté par ousmane diop le 16/02/2015 08:11
Babacar, tu es sans conteste le meilleur! les détenteurs de pouvoir devraient te lire souvent : ils nous éviteraient certains déboires!....encore :MERCI!

5.Posté par Soumaila Manga le 16/02/2015 08:42
Il est regrettable que Macky Sall et son gouvernement ne comprennent pas qu'autant la traduction de Karim Wade devant les juridictions a été une demande sociale dans un passé récent, autant sa libération est aujourd'hui devenue une nouvelle demande sociale. Jamais, on n'a eu connaissance d'un procès qui aura connu autant d'impairs au point que l'on ne comprenne plus si c'est un règlement de compte ou rééddition des comptes. A ce stade, Macky n'ose pas libérer Karim pour se faire hara-kiri mais il qu'il y pense après sa condamnation. Osons le dire, c'est la main gauche de Macky qui maintient Karim en prison et il faudra que sa main drpite soit diligente pour le libérer. Justice pour Karim même nous savons tous qu'il n'a pas été à la hauteur quand il était aux affaires. Ce n'est pas l'injustice que l'on va répondre à l'injustice karimienne. Soumaila Manga coordonnateur du Mouvement JUSCA "Justice sociale pour la Casamance"

6.Posté par idrissa WADE le 16/02/2015 09:34
Monsieur Ndiaye,

Vous êtes un génie, un brillant intellectuel, un patrimoine intellectuel pour le Sénégal. Cet article est d'une pertinence remarquable et d'un sagesse hors norme.

Merci à vous Monsieur.

7.Posté par lagareh le 16/02/2015 10:04
walayi bilahi tu as raison justin! vraiment voila une lumiere qui surgit des ténèbres !!

8.Posté par b le 16/02/2015 10:19
merci Karim tu ne mas pas decu.
je nattends rien de cette plaidoirie,jattendais des preuves et ya pas de preuves. comme le disait xeme un proces cest des pieces a conviction et non des paroles a conviction. Et la CREI na pas de preuves

voila ce que jecrivais depuis 2ans

jai toujours cru a l´ innocence de karim . cest le contraire qui me surprendra. si tu avais notre mentalite senegalsie tu naurais aucun probleme avec les senegalais: avoir les yeux fixes sur les 96 milliairds fond politique, frequenter les casinos et les boites en laissant les senegalais avec leur routes qui datent depuis lindependance, et leur problem d Electricite q u ils narrivent pas a resoudre. quand on cherche des solutions pour les problems des senegalais qu on a des problems avec eux. Cest le cas de Ousmane sy au momment ou le ps vendait la licence 50 millions CFA a Tigo Ousmane sy la vendu a 200 millions de Dollars que le tresor public a encaisse au lieu de le feliciter on lemprisone. Et comme si le senegal refuse le developpement

9.Posté par clair le 16/02/2015 10:21
merci professeur, Macky et sa famille politique doivent lire cet article. un membre de la famille de wade ne merite pas ce traitemnent qu' a connu Karim. mème si Bara tall était president de la republique, il allait traiter karim meilleur.

10.Posté par Degg deugg le 16/02/2015 13:14
Répétons-le : les oppositions d’aujourd’hui seront les pouvoirs de demain. Gardons-nous donc de planter le décor des futurs goulags, pour nous-mêmes et pour nos enfants !» rien que pour cette assertion Macky devrait vous nommer conseiller officieux. Merci BJN

11.Posté par Degg deugg le 16/02/2015 13:36
Si aujourd'hui Macky maintient Karim Wade en prison c'est grandement du fait d'une certaine presse notamment GFM de you-sous, Madiambal et le Quotidie. Et pourtant ces personnes n'agissent que par vengeance et méchanceté. Macky réveille toi «ca ba yewu di neex...»

12.Posté par seydinaa le 16/02/2015 14:50
Maître,

Grand merci pour la qualité et la pertinence de votre analyse, aussi bien dans la forme que dans le fond.
Tu es de loin meilleur que tous ces pseudo analystes politiques de la petite semaine.

13.Posté par MAMADOU SENE SERVICE D''''HYGIENE le 16/02/2015 16:03
S'IL EXISTE UN INTELLECTUEL AU SENEGAL C'EST Babacar Justin Ndiaye

14.Posté par youssou Sarrr le 16/02/2015 17:27
Merci pour la pertinence du texte c'est dommage qu'on soit arrive a ce stade car Mimi Touré a bien manoeuvré pour faire croire que l'emprisonnement et l'humiliation de Karim est une demande sociale. Le President a été mal conseillé et jusqu'a present Il est mal entouré. La CREI est une honte pour le Sénégal. Vive le SENEGAL, vive la PAIX.

15.Posté par Lamine le 17/02/2015 12:48
Laser de très haute facture.Macky doit se ressaisir il n'est pas encore trop tard.

16.Posté par Atypico le 18/02/2015 11:02
Excellent ! Mais je ne crois pas qu'il faille préférer le sabotage volontaire, au sabotage par incompétence mais lutter contre ce deux façons de détruire ! !

17.Posté par Baye lamine le 18/02/2015 23:27
Excellent texte. Tres pertinent et objectif. Des Intellos de la dimension de BJN se font rares ou silencieux ou complicies coupables

18.Posté par nabysso le 21/02/2015 15:51
C'est vraiment excellent les commentaires que vous faites
Si je me souviens bien , vous avez été editorialiste chez"Jeune afrique"
C'est pertinent et surtout cela n'a rien à voir avec ce que l'on lit souvent chez certains
journaux de la place.
Le contenu de l'ensemble de vos developpements est vraiment clair, précis et surtout
appétissant!
J'espère que Macky SALL vous lit (il a beaucoup à apprendre de vous)
surtout sur la géopolitique
Merci et bravo
Nabysso

19.Posté par Eleonore le 22/02/2015 20:28
Enfin un commentaire digne de ce nom.Dans ce silence assourdissant des politiques, de la société civile et des juristes, enfin un commentaire qui donne la pleine mesure de la situation actuelle. Nous nous sommes battus pour un autre Senegal, un Sénégal de justice! Pas ce nous voyons en ce moment. Loin de nous tout esprit partisan, mais seulement la justice et uniquement la justice! Pas d instrumentalisation.

20.Posté par PAPIS NDAO mouvement NRJ ouest foire //// yoff le 03/03/2015 11:49
je m'incline devant la beauté du texte;;;; oui si je veux lire de beaux articles j'attends avec impatience les lasers de BJN .non seulement ils sont instructifs a bien des égards mais ils augmentent qu'on le veuille ou pas notre niveau quel que soit notre rang social ou notre domaine d’activité...merci professeur ..seulement je me garderais d’émettre des commentaires sur le fond car nos avis peuvent diverger souvent par apport au sujet traité.
mais merci une fois de plus pour ton courage et ton impartialité au moment ou la quasi totalité des patrons de presse ont fait éhontément acte allégeance ce qui ne contribue guère a l’éclosion d'une information juste et crédible.

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