Laser du lundi : Le jeu de bascule…bascule toujours (Par Babacar Justin Ndiaye)


La réalité dépasse-t-elle la caricature ? Le Dialogue national, bruyamment cher au Président Macky Sall, se décline désormais en un cirque qui plante le décor d’un duel. Le compromis en gestation entre le Pds et l’Apr, au lendemain du fameux Dialogue national, est de facto compromis. Le dégel entrevu entre le navire-amiral de la majorité et la locomotive de l’opposition est gelé. Le pont timidement jeté entre les deux Partis longtemps en conflit, est soudainement truffé de dynamites. La décrispation enchanteresse entre Abdoulaye Wade et Macky Sall qui a culminé avec le coup de téléphone du 90e anniversaire et la grâce bénéfique à Karim Wade, ressemble, aujourd’hui, à un deal fracassé. Bref, l’embardée politique est là, en tant que résultante d’un jeu de bascule politique – équilibrisme calculé ou balancement contrôlé – qui bascule toujours. Question lancinante : un basculement vers le ravin qui engloutit ou le radeau qui sauve ?   


En politique, la stratégie du balancier habituellement destinée à étourdir l’adversaire, est si fertile en basculements tous azimuts que les observateurs alignent les interrogations suivantes. Premièrement : Macky Sall est-il assiégé puis submergé par les fossoyeurs de toute détente sur l’échiquier politique, notamment avec les libéraux ? Secondement : Maitre Wade découvre-t-il subitement  qu’il est mené en bateau par une fraction ultra-collaborationniste du Pds, désireuse de rallier l’Apr avec armes et bagages, au détriment de la candidature de Karim Wade ? Troisièmement : les idées biscornues du député de la majorité, Moustapha Cissé Lo (la caution à hauteur 100 millions pour le scrutin présidentiel et la suppression du second tour) et enfin la proposition faussement cavalière et réellement combinarde – odeur de conspiration – de la députée Mously Diakhaté (report des législatives de 2017 et fusion avec la présidentielle de 2019) sont-ils les signes avant-coureurs d’un passage en force sur le chemin escarpé du second mandat ?    


L’unique certitude est que les dés sont jetés et…pipés comme l’attestent les trois affaires qui, en ce torride et pluvieux mois d’août, donnent vie et physionomie à la conjoncture nationale : le destin judiciaire de l’ex-sénatrice Aida Diongue, les micmacs de Maitre Wade en direction de la Mauritanie ou les manœuvres du Président Mohamed Ould Abdelaziz en direction de Wade, et in fine l’arme électorale de la bi-nationalité. Trois évènements qui imposent un triple faisceau de lumières.


Affaire Aida Diongue. L’épilogue du procès de Mme Aida Diongue laisse apparaitre deux dimensions qui sont respectivement judiciaire et politique. Le volet judiciaire a engendré une controverse himalayenne. Un chroniqueur respectueux de la décision de justice, fait forcément violence sur lui-même, pour commenter l’arrêt de la Cour suprême. La vérité (relative) reste que la Cour suprême s’abrite très difficilement derrière son droit d’évocation et très mal derrière son pouvoir de création d’une jurisprudence. Il y a de prime abord, une incursion dans une parcelle de souveraineté dévolue à d’autres juridictions. Toutefois, le Droit étant vaste comme la mer et insondable comme le Triangle des Bermudes, je me garderai d’ajouter un jugement supplémentaire sur une chose déjà… suprêmement jugée. La dernière remarque porte sur la relaxe de Mme Diongue, ordonnée en mai 2015, par la 3e chambre correctionnelle, qui avait mis la Chancellerie en boule. Une colère reflétée par un communiqué vif dans lequel le Procureur avait fustigé, je cite : « une décision manifestement illégale et troublante ». Vous avez bien lu. Vous n’avez pas la berlue. Preuve que cette affaire est très tôt polluée par des convulsions internes à la Justice. 


En revanche, les fautes et les feintes à caractère politicien ont abondé au plus haut niveau de l’Etat. Aucun évènement d’essence socio-cultuelle et/ou religieuse ne peut justifier que le Président de la république, Premier magistrat du pays et Président du Conseil supérieur de la magistrature, donne l’accolade à sa « sœur » (Macky Sall dixit) Aida Diongue en délicatesse avec la justice. D’abord, le Président de la république n’a pas de « sœur ». Il a des concitoyennes. Ensuite, dans les grandes démocraties adossées à l’Etat de droit, les officiels de premier plan s’arrangent pour ne jamais croiser sur leurs chemins, les personnes qui ont maille à partir avec la justice. François Mitterrand avait évité tout geste équivoque à l’endroit de son grand ami Patrice Pelat impliqué dans une grosse affaire de délits d’initiés. Les Présidents Senghor et Diouf dépêchaient de discrètes délégations à l’occasion de tels évènements. C’est le Président Wade qui a inauguré, de façon ostentatoire, ces pratiques probablement électoralement payantes mais peu compatibles avec la posture et le rôle d’un chef d’Etat. Ce n’est donc guère étonnant que les vannes des insinuations et des accusations s’ouvrent dans l’entourage de Mme Aida Diongue. On y pense et y susurre que le Président Sall est un magicien des leurres et des coups fourrés. Un « lion qui dort », endort ses proies (adversaires) par un effet de contagion du sommeil et les griffe sans rugir, au préalable, comme le lui recommande l’hymne national. L’hymne national qui n’a rien à voir avec le ring politique. 


L’arme de la bi-nationalité. « La disposition Benoit Sambou » – baptisons la ainsi – est une ineptie déjà taillée en pièces par le gros des voix autorisées et, surtout, par l’opinion publique qui y flaire, à tort ou à raison, une ultime arme électorale très malvenue ; parce que brandie avec un retard diablement calculé : cinq ans avant la présidentielle de 2019. Inutile d’y revenir substantiellement. Cependant le silence du PS est insupportable. Ousmane Tanor Dieng, homme d’Etat avisé et cultivé sait ce que le Parti Socialiste doit au métis franco-dahoméen ou béninois, le richissime avocat Boissier Palum qui fut l’argentier du Bloc Démocratique Sénégalais (BDS), c’est-à-dire le père de l’UPS et pratiquement l’ancêtre du Parti actuel de Wilane et de Sérigne Mbaye Thiam. En effet, Léopold Sédar Senghor était une tête pensante, un intellectuel d’envergure et non une fortune colossale. Sans le pognon de Palum, Senghor serait balayé, en 1947-1948, par Lamine Guèye. Les Sénégalais sont curieux de savoir comment les héritiers de Senghor, tous socialistes jusqu’à la moelle épinière (Niasse, Tanor et Djibo) accueilleront pareille disposition à l’Assemblée nationale. Seront-ils fidèles à l’allié Macky Sall ou à la mémoire des pères fondateurs du PS et des institutions du Sénégal ?   


Wade et la Mauritanie. D’abord, un tri s’impose entre ce que disent les journaux et ce qui est vrai. Bien que la frontière reste fluide entre les faits avérés et les choses signalées, ici et là. Des sources mauritaniennes et des milieux diplomatiques sont formels et convergents : l’ex-Président Wade a reçu un groupe de Mauritaniens parmi lesquels figure un ancien ministre. Etaient-ils des émissaires officieux ou des électrons libres ? Tel que je connais le régime militaire et « sécurocrate » de Nouakchott, je doute qu’ils soient des promeneurs qui ont sonné, par hasard, à la porte de l’ancien chef de l’Etat du Sénégal, notamment dans un contexte où les relations sont formellement bonnes mais réellement exécrables entre les gouvernements de Dakar et de Nouakchott. Sans être des officiels, les interlocuteurs de Wade étaient adoubés, bénis voire téléguidés par l’épicentre du pouvoir en Mauritanie. D’après les mêmes sources, les Mauritaniens y sont allés avec leurs violons, en faisant les éloges de l’universitaire, du politique et du bâtisseur (africain) Abdoulaye Wade. Non sans lui dire qu’il est le bienvenu en Mauritanie où l’on a besoin de son expérience. En vérité, le Général Aziz s’active dans les dédales de la guerre des nerfs ; tandis que le Patron du Pds se meut dans les labyrinthes d’une guerre psychologique. Tous deux contre Macky et avec des motivations évidemment différentes. 


Personne n’a le droit de mettre en équation le patriotisme de Wade. Mais la vérité historique commande de rappeler qu’il joua sa partition dans l’escalade de la tragique tension entre les deux pays, au lendemain de la mort des cultivateurs de Diawara-Moudeiri (Bakel) tués par les éléments de la Garde nationale de Mauritanie. A l’époque, son journal « SOPI » souffla sur les braises dans le but de fragiliser le régime de Diouf puis de l’achever. L’Histoire se répète ou bégaie-t-elle ? En tout cas, Wade est de retour dans l’opposition et comprend de moins en moins le jeu de bascule de Macky Sall qui – après un Dialogue national censé être décrispant – valide un projet de réforme non consensuel du Code électoral, cautionne la disposition relative à la double nationalité susceptible d’éliminer le candidat Karim Wade.  Cerise sur le gâteau ou ciguë dans la soupe : la militante libérale Aida Diongue est condamnée dans un vacarme national et désapprobateur. Du coup, le vieux et increvable bagarreur renfile sa tenue de combat et indique à qui de droit qu’il est prêt a chevaucher les axes du danger comme Nouakchott et Banjul. Il ne s’agit point de rouler pour l’Etranger contre sa patrie, mais de déployer une panoplie de pressions. Avec d’autant plus d’aisance à Nouakchott que le Président Abdoulaye Wade et son ministre Cheikh Tidiane Gadiio ont été les artisans de l’Accord de Dakar de 2009 qui ont remis la Mauritanie sur les rails d’une vie constitutionnelle normale, après le putsch militaire de 2008. Un accord de Dakar qui a facilité et légalisé l’accession au pouvoir du Général putschiste Mohamed Ould Abdelaziz qui doit une fière chandelle à Wade. Comme quoi Abdoulaye Wade a son passif et son actif en Mauritanie.        


PS : Signalons que le Président Abdou Diouf avait reçu dans son Palais, l’escroc-milliardaire malien Babani ou Babading  Cissokho. Le fait fut relevé et critiqué par un hebdomadaire de la place dont le directeur de publication fut objet de quelques remontrances et pressions souterraines. Et non publiques ou policières. Un retour à l’orthodoxie dans la vie de la République et le fonctionnement de l’Etat, revigorerait séparément l’Exécutif et le Judiciaire.   

         

Lundi 22 Août 2016




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