Laser du lundi : Le Régiment régente la transition pour le clan des Compaoré (Par Babacar Justin Ndiaye)


Laser du lundi : Le Régiment régente la transition pour le clan des Compaoré (Par Babacar Justin Ndiaye)
A l’instar de la Révolution française de 1789 que jalonnèrent quelques ressacs –  tels le Consulat, le Directoire et le 18 Brumaire – la démocratie en gestation au Burkina Faso, vit des heures aux couleurs d’une Restauration enclenchée par le Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP). Le système Blaise a été décapité, mais la queue (bourrée de venin) bouge encore. Une course contre la montre a, d’ores et déjà débuté, entre le gouvernement de transition et la Garde présidentielle toujours puissante et autonome. A court terme, l’alternative affiche deux termes : ou bien la transition démantèle le Régiment, ou alors le Régiment régente la transition dans le sens d’un retour à l’ordre ancien. Le décor est ainsi planté, afin que le clan des Compaoré (sans Blaise) amorce son retour davantage par les turpitudes que par les urnes.  

Les chefs de file de l’opposition et les locomotives de la société civile burkinabés n’ont visiblement pas retenu la leçon de Pierre Mendès-France : « En politique, toute demi-mesure équivaut à une contre-mesure ». Dans la foulée du déboulement de Blaise Compaoré, le sort du Régiment de Sécurité Présidentielle (la Garde prétorienne du régime défunt) devait être scellé, non par les manifestants aux mains nues, mais par le Comité de suivi de la CEDEAO présidé par le Président Macky Sall. Les débats préparatoires de la transition l’ayant occulté ; le Comité de suivi ne s’étant pas auto-saisi, le Régiment enrégimente toute l’équipe de la transition. Le Président Michel Kafando est démuni. Il n’a ni légitimité populaire ni unité militaire pour soumettre le Régiment. De son côté, le Premier ministre et non moins  Colonel Yacouba Isaac Zida est acculé, par ses frères d’armes, au compromis le plus ruineux pour le futur démocratique du Burkina. Bref, la transition est, depuis le mercredi 4 janvier 2015, sous la tutelle de la crème de l’armée burkinabè : le RSP.   

Une question taraude l’esprit : pourquoi le Régiment fonce-t-il dans un rétropédalage aussi subit que vigoureux ? Les motifs avancés sont principalement militaires et accessoirement financiers. En vrac, les prétoriens exigent l’annulation des affectations qui dégarnissent les rangs du Régiment,  réclament le paiement des bonus de fin d’année, demandent le remplacement du Lieutenant-colonel Théophile Nkiéma, fraîchement nommé Chef d’Etat-major particulier du Président de la république et, in fine, s’opposent à la dissolution du RSP. Comme on le voit, ces revendications exorbitantes dans un Etat – même en transition vers l’Etat de droit – visent un seul objectif, à savoir le maintien d’une armée dans l’armée et en marge de l’Etat-major général des armées.  Quand on sait l’origine et l’odyssée du Régiment, on prie encore et encore pour l’aboutissement de la transition et la mise en œuvre de sa feuille de route.

Dérivé de la première compagnie de parachutistes de la jeune armée de Haute-Volta, le Régiment a pour berceau, le Centre National d’Entrainement pour Commandos (CNEC) de la petite ville de Pô, non loin de la frontière du Ghana. L’embryon du Régiment s’était héroïquement distingué, en 1973-74, sur le front, durant la première guerre des frontières entre le Mali de Moussa Traoré et la Haute-Volta de Lamizana Sangoulé. Le fait d’armes était à l’actif d’un détachement commandé par un jeune Lieutenant au destin exceptionnel : Thomas Sankara. A cette époque-là, toutes les unités de commandos-parachutistes étaient sous les ordres du Commandant Moumouni qui mourra au cours d’un saut raté. Deux officiers légendaires (Moumouni et Sankara) dont les profils hors du commun ne sont pas étrangers à l’essor des unités de choc de l’armée burkinabé. Il n’est guère donc surprenant que les soldats d’élite de Pô soient le fer de lance des coups d’Etat en cascade au Faso. Et par conséquent, l’épée et le bouclier des deux Présidents qui se sont succédé (Sankara et son bourreau Blaise) de 1982 à 2014.

Mais le vrai bâtisseur du Régiment de Sécurité Présidentielle s’appelle Blaise Compaoré. Calqué sur le modèle togolais de la très fidèle Garde du Président Gnassingbé Eyadema, le RSP de Blaise est une force qui a agrégé et fondu plusieurs contingents formés à la dure école des troupes aéroportées. Détesté par les populations et jalousé par les autres corps d’une armée nationale nettement négligée et quasiment désarmée, le RSP a sa compagnie du train (une noria de véhicules de transport de troupes), ses blindés, sa poudrière, ses stations d’essence etc. En outre, le RSP est hors Etat-major, c’est-à-dire à l’écart de la chaine de commandement, et presque hors intendance. Ses officiers ont été triés sur le volet et méthodiquement promus par Blaise Compaoré.

Cerise sur le gâteau des privilèges, le RSP n’a que deux articulations que sont sa base-école de Pô et le Palais présidentiel de Ouagadougou. Conséquence : le gros de la carrière des éléments grassement payés du Régiment, se déroule sous les lambris dorés et non dans la poussière des garnisons provinciales de Kaya, de Gorom-Gorom et de Fada Ngourma. Cependant, le RSP a son programme de manœuvres et d’exercices très durs, au cours desquels les tirs sont à balles réelles, comme à la guerre. Il s’y ajoute qu’au cours des entrainements comme en opérations sur le sol burkinabé – exceptionnellement en territoire malien pour le sauvetage du chef du MNLA, Bilal Ag Chérif, grièvement blessé au combat – le Régiment travaille étroitement avec les baroudeurs du COS français stationnés à Ouagadougou.    

Ce Régiment, au service exclusif d’un régime trentenaire, a forcément une Histoire, avec des ramifications et des implications au sein de la camarilla politique et dans les milieux économiques.  Certains officiers – pas des moindres – ont tissé des liens étroits avec des fournisseurs véreux et experts en magouille. D’autres sont des intimes des pontes du CDP (le Parti de Blaise) dont les domiciles étaient sous la protection des hommes du RSP. Mais la collusion la plus redoutée était la proximité patente entre François Compaoré (le petit frère de Blaise) et le commandement de cette Garde plus personnelle que présidentielle. En effet, c’est le RSP – un corps dépourvu d’officiers de police judiciaire – qui avait arrêté et torturé à mort David Ouédraogo, le boy de la famille Compaoré, accusé de vol de la somme de 50 millions CFA. L’affaire dévoilée, en 1998, par le journal « L’Indépendant », a connu un tragique retentissement, avec la liquidation physique du directeur de publication, Norbert Zongo. L’enquête avait mouillé l’adjudant Hyacinthe Kafando du RSP, momentanément exfiltré vers les Philippines. De retour à Ouagadougou, le sous-officier Kafando sera jugé de façon vaudevillesque par un tribunal, puis élu député du CDP de Blaise Compaoré.       

Avec des états de service aussi sinistres, on comprend que la Garde (prétorienne) soit sur ses gardes. Sans jeu de mots. On comprend, aussi, pourquoi elle donne de subtils coups d’arrêt à une transition vers une bonne, démocratique et légitime gouvernance, inévitablement accoucheuse de transparence et de reddition des comptes. En résumé, l’évaporation flairée des privilèges, la fin prochaine de l’impunité et le retour (imminent) à l’orthodoxie dans l’organisation de l’appareil militaire, ont paniqué la hiérarchie du RSP. Une peur qu’exploitent les caciques du CDP, discrets mais actifs à Ouagadougou, avec l’aide et les encouragements  de leurs mentors en exil doré que sont Blaise Compaoré à Yamoussoukro, François Compaoré à Cotonou et la milliardaire et, non moins belle-mère, Madame Alizéta Ouédraogo réfugiée à Paris.    

Comme toutes ses devancières, d’ici et d’ailleurs, la Révolution démocratique en cours au Burkina, est confrontée à une « cinquième colonne » embusquée et rusée. La capacité de nuisance du Régiment réfractaire réside dans le déficit de vigilance de l’opposition et de la société civile, d’une part ; et renvoie au poids des servitudes géopolitiques, d’autre part. D’un côté, l’euphorie a fonctionné comme une anesthésie chez les tombeurs de Blaise. Au point que les éclipses et les va-et-vient des chefs les plus en vue du RSP n’ont guère alarmé le gouvernement de transition. De l’autre, la crainte de l’émergence d’un second Mali a poussé la communauté internationale à s’accommoder de la permanence du suréquipé Régiment de Sécurité Présidentielle, en tant que rempart contre les djihadistes de tout poil en balade dans le Sahel. En clair, une sinistre Garde prétorienne qui sécurise le pays, est préférable au scénario malien d’une armée effondrée et disloquée. Un sursis qui a des effets vertueux (sauvegarde du pays) et pervers : une transition biaisée à distance par Blaise. 

D’abord le Général Gilbert Diendéré, patron inamovible du Régiment (1987-214) disparait au plus fort de la tourmente, puis réapparait en civil, réside toujours à la caserne Naba Koom (PC du RSP) sans être démis ni inquiété. Pourtant, c’est lui qui a supervisé la fuite de Blaise, en dirigeant une opération de sécurisation de l’aéroport de Fada Ngourma autour duquel le Régiment et les Forces spéciales française ont brisé deux assauts de soldats burkinabés afin de permettre le décollage de l’avion Transall vers la Côte d’Ivoire. C’est un épisode violent et secret de la fuite de l’ex-Président du Faso. Pourquoi un tel homme vadrouille dans Ouaga, convoque puis tance le Premier ministre Isaac Zida et, enfin, participe aux conciliabules chez le Mogho Naba, chef traditionnel des Mossis ?

Ensuite, c’est le Colonel Célestin Coulibaly, aide de camp du Président Compaoré, qui revient tranquillement de Yamoussoukro puis réintègre le Régiment. Est-il revenu de Côte d’Ivoire avec des consignes et, surtout, des objectifs fixés par Blaise ? En tout cas, l’ébullition a commencé, dès son retour. Le Régiment très spécial a multiplié les initiatives anti-Transition les plus osées. Aujourd’hui, ce corps d’élite a gagné le premier round, puisque les affectations décidées légalement par le Premier ministre et également ministre de la Défense, ont été gelées. Mieux, le RSP s’est réorganisé en toute autonomie.

Le Général Diendéré est encore là, officiellement il n’est rien, mais effectivement il est tout, commande tout le monde et gouverne militairement le Palais de Kosyam. D’autant plus vrai que c’est lui (Diendéré) qui a placé, vendredi dernier, le Colonel-major Bouréma Kéré, à la tête du fameux Régiment. Dans le même mouvement, le Lieutenant-colonel Théophile Nkiéma, cité plus haut, a cédé sa place, sur injonction de Diendéré, au Colonel Célestin Coulibaly (dernier aide de camp de Blaise Compaoré) qui devient ainsi chef d’Etat-major particulier du Président de la transition.    

Pas besoin de loupe, pour voir que la transition est entravée. Le Président Michel Kafando est le locataire d’un Palais sous le contrôle exclusif du RSP. Même les jardiniers et les chauffeurs obéissent au Général Diendéré. Quant au Premier ministre – le soldat Zida qu’il faut vite sauver –  il est si affaibli (provisoirement) qu’il quémande la médiation du Mogho Naba, pour sauver ses fonctions et…sa peau. Bigre ! La Restauration accélère la cadence ; tandis que la transition marque le pas. Blaise Compaoré n’a pas encore dit son dernier mot. Au train où vont les choses, le futur Président sortira des urnes et du képi du Généralissime Gilbert Diendéré, patron du RSP et du Burkina. Sauf si la rue sauve (décidément, il faut beaucoup sauver) dans un ultime bain de sang, cette démocratie pourtant bourgeonnante.          
 
Lundi 9 Février 2015




1.Posté par Xeme le 10/02/2015 09:35
Je crois que la transition burkinabé est plus plombée que cela. L'actuel président de la transition a appelé à une conférence de presse, et c'est pour dire, concernant le dossier Sankara, que c'est à la famille du défunt de mener les enquêtes nécessaires pour déclencher une procédure judiciaire, et que l'état ne le fera pas à sa place. Y a t il une meilleure façon de mettre ce dossier dans l'impasse ? Peut-on ne pas y voir une volonté du président actuel ?
La vérité est que la France qui a exfiltré Compaoré, qui avait instrumentalisé le même Compaoré pour tenter d'assassiner le Capitaine Sanogo par cadeau de véhicule piégé, cette même France est derrière tout le processus. Et une vraie fin de l'impunité, une vraie reddition des comptes ne pourrait éviter de mettre à nue la criminalité de la France avec ce pouvoir qu'elle avait instrumentalisé.

2.Posté par Atypico le 11/02/2015 14:04
La référence à la révolution française de 1789 n'est pas valable , car à l'époque il s'agissait d'une révolution politique qui visait à donner le pouvoir politique la classe bourgeoise porteuse d'un nouveau mode de production, le capitalisme, contre les lois et les résistances de la noblesse et du clergé tandis qu'ici il s'agit de remplacer une fraction de la classe politique en place par une autre fraction moins ouvertement dictatoriale et répressive, sans modifier radicalement r ni 'état, ni les rapports sociaux économiques existants. La difficulté c'est de parvenir à le faire sans affaiblir l'état Burkinabé dont l'armée et ce fameux régiment constituent l'épine dorsale, pour éviter de déboucher sur une situation chaotique telle qu'en a connu et va continuer de connaître l'Egypte , la Tunisie, ou pire encore la Lybie..;



Dans la même rubrique :