Laser du lundi : Chat échaudé craint l’eau froide. Et chat brûlé ? (Par Babacar Justin Ndiaye)


Par quel bout, prendre le vif débat sur la Constitution grosse ou non d’un troisième mandat ? Par le biais du réel (l’expérience) comme par le truchement du Droit, on peut débattre au moyen d’arguments pertinents et percutants, pluriels et contradictoires, ambivalents et équivoques. Pour cause d’évidence que voici : la Constitution n’est pas faite pour les végétaux et les minéraux ; mais pour les hommes qui sont des magmas de vertu, de vice, de droiture, de roublardise, de turpitude, de sérieux, de grandeur, de petitesse, de probité et de perversions etc. En un mot, les hommes sont des boules de valeurs et de contre-valeurs. D’où l’impérieuse nécessité de parfaire – par la vigilance et par la réflexion ininterrompues – la bouée de sauvetage nationale, républicaine et démocratique que représente la Constitution.
 
Au Sénégal, la Constitution n’est pas strictement une Loi fondamentale. Elle est, aussi, un Salut fondamental. En effet, c’est au moyen de la Constitution que le Président Léopold Sédar Senghor, en pyjama – sans arme ni garde du corps – a convaincu et stoppé un groupe d’officiers des Forces armées, venus l’interroger sur les dessous juridiques et constitutionnels de la crise au sommet de l’Etat, entre le Président du Conseil, Mamadou Dia, et lui, le Président de la République. Cette nuit-là, une lecture appliquée de la Constitution a empêché le Sénégal d’être le berceau du premier coup d’Etat militaire de l’Afrique indépendante. Nous sommes en décembre 1962, c’est-à-dire, quelques jours avant le coup d’Etat sanglant, de janvier 1963, perpétré par le Sergent Gnassingbé Eyadema, contre le régime et la personne du Président Sylvanus Olympio, au Togo.
 
Comme on le voit, la Constitution a besoin de mille soins et mérite une profusion de réflexions. D’où l’inquiétude née des propos chargés d’agacement, d’énervement et de réprobation du Président Macky Sall, à l’endroit de : « Ces intellectuels (Professeur Babacar Guèye et Cie) qui se livrent à de grandes réflexions, qui nous fatiguent et, surtout, qui ne nous laissent pas travailler ». Visiblement, le chef de l’Etat a une grande, une ouverte et une profonde aversion pour les réflexions à foison et à rebrousse-poil. Une conception et une posture incompatibles avec la bonne et suprême gouvernance. Homme politique et académicien, Alain Peyrefitte écrit : « Pour bien gouverner, il faut être féru d’histoire et friand de prospective ». Pythagore renchérit : « Les deux mots les plus brefs et les plus anciens, oui et non, sont ceux qui exigent le plus de réflexion ». Tel un fil d’Ariane, la réflexion est toujours présente et partout précieuse. Moralité : une réflexion anticipatrice sur la Constitution ne saurait être rangée dans le rayon des stupidités qui exténuent les gouvernants ou entravent, par exemple, les travaux du TER.
 
Dans cet ordre d’idées, les intellectuels sont – sous les cieux  démocratiques – acceptés comme des veilleurs de nuit qui sonnent le tocsin lorsque le danger se présente devant ou dans une cité endormie.  A ce titre, ils ne fatiguent pas les vrais hommes d’Etat et ne brisent pas leurs élans.  De 1960 à 1980, de brillants intellectuels disséminés dans les instances dirigeantes du PAI, du PRA et du RND, une tête pensante comme le marabout Cheikh Tidiane Sy (fondateur du PSA) et un universitaire de l’envergure d’Abdoulaye Wade ont, dans des débats intenses, taillé en pièces l’idéologie de Senghor puis tiré à boulets sur les successives réformes constitutionnelles et, surtout, dénoncé la limitation légale mais arbitraire des Partis politiques, à trois. Les fameux trois courants autorisés.
 
Toute cette frénésie intellectuelle et féconde – parfaitement inhérente à la démocratie – n’a ni perturbé ni empêché le Président Senghor et son gouvernement, de bâtir des institutions et de créer des Ecoles nationales très décisives dans l’édification de la jeune nation. De son côté, le Président Abdou Diouf ne s’est jamais plaint (en termes courroucés) du choc des idées et des batailles politiques très âpres qui ont culminé avec l’adoption du Code électoral très consensuel du début des années 90. La preuve est ainsi établie qu’en matière de démocratie, la tension est préférable à l’atonie. La torpeur fait le lit du despotisme réellement rampant et prétendument éclairé.
 
Dans tout ce tumulte, le Professeur Babacar Guèye débusque-t-il un lièvre dodu, bien camouflé dans le buisson clair-obscur des phrases pondues par les rédacteurs de la Constitution ? En tout cas, le débat s’est vite clivé entre deux ou trois écoles. D’un côté, les garde-chiourmes qui refoulent toute idée de modification bénigne, de correction superflue et de disposition transitoire. De l’autre, des constitutionnalistes-entomologistes qui ont méticuleusement traqué et souligné au crayon rouge, des ambiguïtés volontaires ou involontaires qui pourraient, demain, prendre un relief insoupçonné. Enfin, il y a, bien sûr, la troisième école, celle des politiciens doués, roués et démagogues qui pensent et disent, en bons comédiens, que tout ceci est prématuré. Selon eux, 2024, c’est aussi loin que le Jugement dernier. Quelle hypocrisie stratégique ! Est-il jamais trop tôt pour tuer les microbes ou éliminer les bactéries qui rendent malade ?
 
Des points de vue réfléchis et/ou subtils sont également développés. Deux, d’entre eux, ont accroché mon attention. Notre compatriote Alioune Ndao Fall, un responsable APR-Diaspora, a dit, sans fioritures, que la candidature de Macky Sall sera recevable, en 2024, mais ne sera pas souhaitable. C’est le scénario de la porte entrebâillée : ni ouverte ni fermée. Donc passante pour celui qui veut passer. Le deuxième point de vue est servi par le Professeur Mounirou Sy, un juriste politiquement aligné mais académiquement avisé. Dans une contribution de bonne facture publiée par les médias, il assène un fragment de son opinion : « L’évidence proscrit la précision qui génère la redondance ». Hum… ! Premièrement, une vérité grammaticale peut être un mensonge constitutionnel. Secondement, une redondance et une tautologie qui mettent un pays à l’abri des secousses, sont préférables à une expression austère mais fatale à la paix sociale. Après tout, la Constitution est écrite dans une langue étrangère très peu lue et comprise dans bien des chaumières. Même en France, la rédaction d’une Constitution est laborieuse. Après la lecture d’une des moutures de la Constitution de la Vème République, le Général De Gaulle, très insatisfait, a grommelé : « Debré, (il s’agit de Michel Debré) je vous rappelle que les virgules sont les petites sœurs de la parenthèse ». Moralité : Constitution égale casse-tête. Ici et ailleurs.
 
« La politique, c’est le réel avant d’être l’idéal », répétait inlassablement le Président Houphouët Boigny. Ce n’est pas le texte de la Constitution (un tas de mots et une quantité d’abstractions) qui inquiète. Ce sont plutôt le réel africain et le vécu sénégalais qui traumatisent. Au Burundi, le Président Pierre Nkurunziza a refusé de comptabiliser son premier mandat octroyé et légitimé par les Accords d’Arusha qu’il avait bien lus et parfaitement signés, le 28 août 2000. On connait la suite. Le syndrome Nkurunziza a fait tache d’huile au Burkina (Compaoré a été stoppé net par un bain de sang) et dans les deux Congo où les verrous constitutionnels ont été transformés en vélos constitutionnels promptement enfourchés. Très près de nous, le Professeur Alpha Condé (emblématique contempteur de la tyrannie de Sékou Touré et victime martyrisée de la dictature militaire du Général Lansana Conté) s’est glissé – sans états d’âme et nonobstant une Constitution claire – dans la peau de Samory Touré. Pour justifier l’injustifiable Alpha Condé affirme que la limitation des mandats est « un truc des Blancs » fâcheusement imposé aux Africains. Relisez : « un truc des Blancs » ! C’est pourquoi l’opposition togolaise, très déçue, a récusé la médiation du Président en exercice de l’UA, le Guinéen Alpha Condé.
 
Chez nous, le glorieux Abdoulaye Wade a stoïquement payé un lourd tribut à l’approfondissement performant de la démocratie. Un combat dont il est un historique fer de lance. Autant d’aura, de charisme et de prestige qui n’ont pas tué en lui, des réflexes dignes de Lat-Dior. Son Parti Démocratique Sénégalais s’est mué en Parti Dynastique Sénégalais : toujours PDS. Au crépuscule de son second mandat (juin 2012) il a multiplié les micmacs d’ordre constitutionnel et institutionnel : un poste de Vice-Président (mystérieusement non pourvu), une séduisante Loi sur la parité, et un projet de loi relatif au quart bloquant. Bref, des manœuvres successorales aux antipodes de l’orthodoxie démocratique, de la part de celui qui fut le talentueux et intraitable procureur de l’article 35 qui permit à Abdou Diouf de terminer le dernier mandat de Senghor.
 
Tombeur d’Abdoulaye Wade, le Président Macky Sall a déchiré, avec la docte bénédiction du Conseil constitutionnel, sa promesse solennelle, publique et internationale de réduire son septennat. Dans l’hebdomadaire JA (organe de diffusion planétaire) il avait, fermement, écarté toute éventualité de propulser par décret, son frère, Aliou Sall. Revirement spectaculaire : Aliou Sall est catapulté par décret, à la tête de la CDC. D’après le journal l’AS du 12 septembre dernier, c’est un éminent membre de la famille omarienne qui a décidé le Président, à signer le décret. Et que dire du méli-mélo électoral soigneusement organisé, le 30 juillet,  par l’ex-ministre de l’Intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo ? Devant cette profusion d’entorses faites aux règles constitutionnelles et aux principes de bonne gouvernance, il est logique que les républicains soient en alerte constitutionnellement…rouge. En effet, chat échaudé craint l’eau froide. Et chat brûlé ? La confiance est à l’image de la virginité d’une femme. Une fois acquise, une fois perdue et jamais retrouvée. Le boulanger qui vous roule, deux ou trois fois, dans la farine, est mal placé pour inviter, à nouveau. Même s’il mentionne sur les cartes d’invitation : « Boulangerie du Dialogue ». D’où les précautions normales et les réflexions valablement prématurées, autour de la Constitution.

Pour conclure – de façon féconde et utile – ce débat sur la Constitution, il faut l’installer au carrefour du Droit, de l’Ethique et du Consensus. Les majuscules ne sont pas fortuites ; elles suggèrent l’élévation vers les hauteurs et toutes les hauteurs. Il urge donc de mixer les trois références (Droit, Ethique et Consensus) pour verrouiller efficacement les Constitutions. A ce propos, les faits têtus ont démontré que le verrou juridique est en banco ; alors que le verrou éthique est en béton. Malheureusement, il n’existe pas de double décimètre pour mesurer la sincérité des acteurs de la vie politique du pays, encore moins de Lacan sénégalais pour les coucher sur un divan, afin de les psychanalyser. Restent donc les vigoureux et pédagogiques débats. Ces échanges houleux et lumineux posent des balises et fixent des sémaphores pour le navire Sénégal ou Sunugal. Faute de quoi, les bonds qualitatifs de notre démocratie seront toujours précédés et/ou escortés par des 23 juin, c’est-à-dire des insurrections à répétition. Attention aux récifs ! Que Dieu garde le Sénégal, des émeutes et des révoltes qui imposent le respect scrupuleux de la Constitution.
Lundi 23 Octobre 2017
Dakar actu




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