LIBRE PROPOS : MACKY, SEUL AU SENEGAL


LIBRE PROPOS : MACKY, SEUL AU SENEGAL
Qu’on le veuille ou non, Macky Sall est un génie politique. Il suffit juste de jeter un coup d’œil sur son âge politique pour s’étonner de la facilité avec laquelle, il est parvenu à diriger, sans résistance, aucune, le Sénégal. Le Président Sall déroule. Il est presque en roue libre. Et à l’allure où vont les choses, la Présidentielle de 2019 risque d’être un plébiscite. Son ascension étonne plus d’un observateur politique. Même le pape du Sopi Abdoulaye Wade a été surpris que ce soit Macky Sall, -géniteur de l’Alliance pour la République(Apr) créée seulement en juin 2008 - qui soit son successeur à la tête de la Magistrature suprême en 2012. 

«J’ai fait 25 ans dans l’opposition, ce n’est pas Macky Sall qui va m’inquiéter», disant Gorgui, comme on le surnommait. La suite est connue de tous. L’élève a vaincu le maître. Démocratiquement. Mais pas seulement. Stratégiquement surtout. Et depuis, tel un ouragan, il balaie tout sur son passage.  

Ce n’est donc pas étonnant que Macky Sall soit le premier président de la République a gouverné le Sénégal sans pour autant avoir une majorité (son parti) à l’Assemblée nationale. Les députés de l’APR sont au nombre de 62 sur 150. 

Mais, il est parvenu à maintenir sa coalition Benno Bokk Yakaar aussi hétéroclite soit elle. Pour y arriver, Macky Sall a fait preuve de «générosité» avec ses alliés. D’abord avec l’Alliance des Forces du Progrès (Afp). Malgré la «rébellion» de Moustapha Cissé Lô, le président de l’Apr va confier le Perchoir à Moustapha Niasse. Sans toutefois, lui donner les coudées franches. Il a fallu que l’homme du 16 juin 1999 fasse acte d’allégeance et annonce clairement qu’il ne sera pas candidat à la prochaine présidentielle. Mieux qu’il ne soutiendra personne contre Macky Sall que ce dernier accepte de lui permettre de jouir pleinement de sa présidence sans risque d’être défénestré. La loi Sada Ndiaye est morte. Vive Macky ! 

Reste à contrôler les Socialistes. Macky Sall décide alors de ressusciter le Sénat sous une autre appellation : Haut Conseil des Collectivités Territoriales (HCCT). Ousmane Tanor Dieng se verra confier la présidence. Il lui fallait le même titre de «Président», comme son «ennemi» juré, Moustapha Niasse, à qui, les Verts ne pardonneront jamais la «trahison» en 2000.

Auparavant, Macky Sall aura fini de ferrer tous ses alliés avec la modification du règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui contraint les députés à rester dans la coalition Benno Bokk Yaakar et empêcher les autres partis de pouvoir disposer de groupe parlementaire dont le nombre est passé de 10 à 15. Le président de l’APR refroidit, par la même occasion, les ambitions des autres formations politiques notamment celle de Idrissa Seck. 

Le PS et l’AFP contraints à une alliance

Les premières conséquences des agissements savamment orchestrés de Macky Sall face à ses alliés ont débouché sur l’éclatement de l’AFP avec le départ du numéro 2, El Hadji Malick Gakou. Mais aussi et surtout la «guerre froide» au sein du Parti socialiste. Si Aïssata Tall Sall a franchi le Rubicon en coupant le cordon ombilical avec son ancien mentor, OTD, Ababacar Khalifa Sall lui, souffle le chaud et le froid. Comme le PS, le maire de Dakar se trouve dans un dilemme. S’il cache mal son ambition de briguer la magistrature suprême, il ne semble pas encore résolu à s’engager dans cette conquête sans l’appareil du parti. Or, les instances du PS (Bureau politique, Secrétaire exécutif national et Comité Central) sont sous le contrôle de Ousmane Tanor Dieng et de ses lieutenants. 

Quant au PS, après avoir dirigé le pays pendant 40 ans, il a ensuite énormément souffert de ses 12 ans passés dans l’opposition. Même s’il ne crache sur la reconquête du pouvoir, le Parti de Senghor ne pourrait nourrir davantage cette ambition qu’en 2025, après le second mandat de Macky Sall.  

Quid des autres partis alliés ? Que ce soit le PIT, la LD ou encore l’AJ/Authentique, ils se contentent du peu que Macky Sall a bien voulu leur donner : députés, PCA, ministre, Haut Conseiller etc. 

Une opposition aphone

Mais le plus étonnant dans tout, c’est l’attitude de l’opposition sénégalaise. Jamais dans l’histoire politique de ce pays, un président de la République n’a eu autant de coudées franches pour diriger le Sénégal. Même du temps de la clandestinité, Feu Léopold Sédar Senghor ne pouvait se permettre de dormir aussi tranquillement. «On ne réveille pas un lion qui dort», avait déclaré Macky Sall pour répondre à l’opposition. 

Pour arriver à son musellement, le Chef de l’Etat a d’abord utilisé la méthode forte. Fraichement élu, il use de sa période de grâce, même si elle dure toujours, en annonçant la reddition des comptes. Pour les tenants du régime, c’est une demande sociale. C’est ainsi que la CREI est ressuscitée pour traquer les «pilleurs de la République». 25 dignitaires du PDS voient alors une sorte d’épée de Damoclès suspendue au dessus de leur tête. Mais au finish, seul Karim Wade sera condamné avant d’être libéré nuitamment dans des conditions non encore élucidées et exilé au Qatar.
 
Les autres sont contraints à raser les murs. Surtout pas de paroles désobligeantes. Sinon, le Procureur va sévir. Au même moment, une transhumance s’organise en douceur pour certains qui ont pourtant maille à partir avec la justice. Un scénario du «déjà vu» avec l’utilisation des audits à des fins politiques après la première alternance en 2000.

Quid des autres partis de l’opposition ? Macky Sall ne semble pas trop sans soucier. Il lui arrive de les convoquer à un dialogue politique reconverti en dialogue national sans toutefois donner une suite à leur revendication. La dernière en date, c’est l’augmentation du nombre des députés que le Président Sall a fait passer de 150 à 165, sans concertation aucune. Même les plénipotentiaires de son parti sont pris au dépourvu.

Avec une dose de désinvolture, le vice-président de l’Assemblée Moustapha Cissé Lô, dira à qui veut l’entendre : «on va faire ce que l’on veut ; on a la majorité». La messe est dite. Mais attention quand même. 2016 a été enterré il y a quelques jours avec son lot de surprises qui mériteraient une analyse froide. 

On peut citer les cas des François Hollande en France qui a été contraint de ne pas briguer un second mandat. Quid du Brexit ou de l’Italexit qui ont renversé, respectivement le Premier ministre britannique David Cameroon et le président du Conseil, Matteo Renzi ? Que dire du séisme électoral avec Donald Trump aux Etats-Unis ? Plus proche de nous, ce sont les Gambiens qui ont renversé les billes de Yaya Jammeh. Quant aux Béninois, ils ont dit stop à l’establishment politique en envoyant au pouvoir un richissime homme d’affaires, Patrice Talon.  C’est dire que Macky Sall est certes, seul au Sénégal. Mais, il gagnerait à dormir que d’un seul œil. Vigilance ! La masse silencieuse, elle, ne dort jamais. Elle observe et décide le moment venu.   

Abdoulaye THIAM
Mercredi 4 Janvier 2017




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