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LE PRÉSIDENT MACKY SALL A L’ÉPREUVE DE LA VÉRITÉ POLITIQUE (par Souleymane NDIAYE)

Mardi 15 Mars 2016 - 09:58

« La réduction de la durée du mandat par voie référendaire ou parlementaire violerait forcément la Constitution»


LE PRÉSIDENT MACKY SALL A L’ÉPREUVE DE LA VÉRITÉ POLITIQUE (par Souleymane NDIAYE)
Depuis l’adresse à la Nation faite par le Chef de l’Etat, pour informer de sa volonté de se conformer à la décision n° 1/C 2016 rendue par le Conseil Constitutionnel à propos entre autres, de la réduction du mandat présidentiel en cours, une vive controverse est née dans laquelle deux camps se dessinent. Ceux qui soutiennent que l’acte rendu par le Conseil Constitutionnel a force exécutoire, et ceux qui estiment qu’il s’agit d’un simple avis que le Président Macky SALL doit méconnaître au nom de la morale.

     Nous estimons que ces querelles doctrinales et les disputes politiciennes sur le caractère contraignant ou non de l’acte en cause sont sans objet. Car, il serait curieux voire inconvenant que le législateur, par les dispositions de l’article 51 de la Constitution rende obligatoire, l’appel préalable à la compétence consultative du Conseil Constitutionnel par le Président de la République, en sachant que celui-ci pourrait avoir le loisir de ne tenir aucun compte de l’avis que pourrait émettre la haute juridiction. A moins qu’il y ait asymétrie dans le ratio régis c’est-à-dire une non concordance entre la volonté du législateur et la lettre de la loi. Il est patent que dans ce cas, le législateur en aurait fait une faculté et non une obligation.

     Donc, il peut être dit qu’en l’occurrence, c’est la pertinence de l’argumentaire du juge constitutionnel qui doit conditionner la décision du Président de la République, et pas le caractère obligatoire ou non de l’avis en question.

     Les quelques indications ci-après permettent de vérifier cette assertion. Dans l’Etat républicain, la Constitution est l’élément fédérateur. C’est le pacte par lequel une nation manifeste sa souveraineté en définissant librement les modalités de dévolution et d’exercice du pouvoir politique.
Faisant suite à l’article 42 et par un serment solennel fait devant Dieu et devant la Nation (article 36) le Président de la République a scellé son engagement d’observer et de faire observer  scrupuleusement les dispositions de la Constitution, et de consacrer toutes ses forces à défendre les institutions.

    C’est nous semble-t-il, sous l’éclairage de ce qui précède qu’il conviendrait d’examiner le bien-fondé de la décision du Président de la République, tant au regard de la légalité qu’à celui de la morale.
Le juge constitutionnel a opposé une non recevabilité à la volonté du Chef de l’Etat au motif qu’il s’agit d’un projet qui est non conforme à l’esprit de la Constitution et à la pratique Constitutionnelle.
De plus, la durée du mandat dont la réduction est proposée a été fixée préalablement à son élection. Si le Président élu avait la possibilité de modifier le mandat en cours, l’ordre juridique serait dérangé et les institutions déstabilisées.

     A travers l’argumentaire développé par le juge Constitutionnel, l’on aperçoit clairement le souci de protéger à la fois la souveraineté du Peuple et l’intangibilité de la forme républicaine de l’Etat.

     Si le Constituant a énuméré expressément les causes de cessation du mandat en cours (art 39), il n’a nulle part édicté sur une possibilité de modification de celui-ci dans un sens ou dans l’autre « ubi lex voluit dixit, ubi noluit tacuit » (quand la loi a voulu quelque chose elle l’a dit, quand elle ne l’a pas voulu elle s’est tue). Par ailleurs, selon un principe fondamental du droit constitutionnel, c’est uniquement lorsque les modifications sont opérées dans le cadre et selon les modalités que la Constitution définit, que le Peuple conserve sa souveraineté dans une démocratie équilibrée. Concernant la protection de l’intangibilité de la forme républicaine de l’Etat, il nous faut revisiter la doctrine française, pour constater que le constituant de ce pays pour barrer la route à toute forme de pouvoir monarchique ou tyrannique, avait proclamé la forme républicaine de l’Etat. Mais, inspiré par de grands penseurs politiques comme Aristote, Hobbes, Kant, Montesquieu, il avait estimé que pour en assurer l’intangibilité, il ne suffisait pas de se contenter d’une simple proclamation en se fiant aux seules dispositions des hommes à l’éthique, mais qu’il fallait concevoir un dispositif extérieur pour servir de verrou inexpugnable. La technique juridique utilisée par le constituant français pour arriver à cette fin, a été de rendre le mandat présidentiel impersonnel en préfixant unilatéralement et souverainement sa durée afin que l’élu ne puisse en aucun cas, par son seul bon vouloir, initier un projet dont l’objet serait d’en modifier la durée dans un sens ou dans l’autre (article 2 de la loi constitutionnelle française du 26 février 1875. Tout comme l’article 27 de la constitution sénégalaise qui est une disposition impersonnelle de portée générale, parce qu’au moment de son adoption, personne ne savait qui serait le futur Président de la République).

     L’argumentaire du juge constitutionnel laisse apparaître que si une telle possibilité existait, la forme républicaine de l’Etat serait gravement menacée, dans la mesure où, la durée du mandat présidentiel ne dépendrait plus de la souveraineté du Peuple, mais de la seule volonté de l’élu.

     Dans cette hypothèse, le calendrier républicain disparaitrait, parce que l’élu pourrait en toute liberté choisir le moment qui lui est le plus favorable pour organiser les élections. Le Peuple irait vers une tyrannie, tandis que l’Etat républicain se désintégrerait inéluctablement de l’intérieur.

     Devant une telle perspective pour la Patrie et la Nation, quelle devrait être l’altitude d’un Président de la République, eu égard aux obligations rattachées à son statut ?

    Faisant abstraction de ce qui est dit ci-dessus, les tenants de la prééminence de la  morale, ont choisi de déplacer la question du domaine du droit, vers le champ émotionnel de l’éthique pour soutenir que le Président de la République s’est dédit d’une promesse, d’un engagement (wakh-wakheet) donc, il a violé la morale.

     A considérer la nature même du sujet, la position que ceux-ci ont adoptée mérite d’être examinée tant au regard de la morale politique qu’à celui de la morale individuelle.

    
 Pour Montesquieu, la morale politique consiste à avoir l’amour des lois et des institutions. Cette définition de la morale politique concorde avec la conception qui est affichée par le Président Macky SALL.

     Quant à Machiavel, il parle de « morale de la politique » et propose une théorie de l’action qu’il bâtit à partir de la dialectique de l’objectif et du subjectif, pour montrer que des circonstances indépendantes de notre volonté seraient l’arbitre de la moitié de nos actions. Ces circonstances que nous ne maîtrisons pas, tendraient toujours à déplacer nos intentions initiales.

     Selon Merleau-Ponty, le cours de la dialectique de l’objectif et du subjectif n’est pas prévisible et peut transformer les intentions de l’homme en son contraire. Inspiré par la théorie de l’action de Machiavel, Max Weber a écrit dans son ouvrage « Le Savant et le Politique » que « le résultat de l’activité politique répond rarement à l’intention primitive de l’auteur ».

     Donc, selon Machiavel, Merleau-Ponty et Max Weber, la morale de la politique n’est pas violée, lorsque l’engagement fait dans une intention sincère par le politique est contrariée par des circonstances indépendantes de sa volonté.

     C’est cela que le Président Giscard D’Estaing appelle dans l’un de ses ouvrages « la vérité politique ».

     Au Sénégal nous avons eu un bel exemple de « vérité politique » avec le Président Wade. Quand il était dans l’opposition, le Président WADE qui avait à plusieurs reprises subi les aspérités de l’article 80 du Code pénal, dénonçait avec véhémence cette disposition qu’il jugeait peu respectueuse des droits de l’homme. Mais, une fois élu, les réalités de ses responsabilités lui ont rappelé que le propre des incriminations est d’être fluctuantes selon l’évolution de chaque société, et qu’à ce propos, il n’y a pas une loi générale qui gouverne l’humanité. Il était sincère et souhaitait réellement la suppression de l’article 80, mais pour des raisons d’Etat, donc des circonstances indépendantes de sa volonté, il a laissé survivre ces dispositions qui sont décriées par tout le monde.

     Etant un démocrate libéral, le Président WADE n’avait pas maintenu l’article 80 dans le but de tenir le Peuple en respect, mais ne l’a pas supprimé parce qu’il a été confronté au phénomène irrésistible de « la vérité politique ».

     S’agissant de la morale individuelle, il a été observé que reconnaître à la morale la transcendance et l’absolu est chose délicate et périlleuse. C’est pourquoi, l’appréciation qu’on en fait doit toujours être affectée d’une certaine relativité.

La philosophe Aristote a écrit dans l’éthique à Nicomaque, qu’il faut faire la différence entre la « nécessité » (c’est-à-dire ce qui ne peut être autrement), et le « contingent » (c’est-à-dire ce qui pourrait être autrement).

     Le sociologue E. Banfield a, quant à lui montré par une formule qu’il nomme « familialisme amoral » que tout individu agit en fonction des intérêts de sa famille, sans tenir compte des exigences de la morale ; or le sujet qui nous préoccupe (mise en danger de la forme républicaine de l’Etat et de la stabilité des institutions), concerne      au-delà de la famille, la Nation dont le Président de la République est le principal responsable.

     Considérée sous cet éclairage, la décision prise par le Président Macky SALL à propos de la réduction de la durée du mandat ne devrait susciter aucune divergence. Tenter d’en tirer un mobile éthique pour alimenter la discorde au niveau national serait confirmer Voltaire selon qui « la discorde est le plus grand mal du genre humain ». 

     En ces circonstances, les leaders politiques devraient refuser de se perdre dans les miroirs que leur tendent les laudateurs et autres activistes. Ils devraient éviter de tendre l’oreille à ces conseillers qui ne sont mus que par leurs intérêts personnels, et qui ont le génie d’embrumer la lucidité de ceux qui les écoutent, en éveillant et avivant le désir et l’espérance qui falsifient souvent la vérité par le mirage de perspectives imaginaires.

     En considérant la vérité des faits, on se rend compte facilement qu’il n’y a dans cette affaire ni ruse, ni manœuvres politiciennes, ni incompétence, mais simplement « une impossibilité absolue ».

     A preuve, lorsque dans l’avis qu’il a émis, le juge constitutionnel fait remarquer que les dispositions concernant la réduction du mandat en cours ont « un caractère personnel ; un caractère individuel très marqué », il veut rappeler que tout projet de loi ayant ces caractéristiques, qu’il soit soumis au référendum ou directement à l’Assemblée nationale, violerait la Constitution, parce qu’une disposition de portée générale comme l’article 27 ne peut pas être modifiée par une disposition qui a un objectif personnel « generalia specialibus non derogant », c’est-à-dire les lois de portée générale ne dérogent pas à celles qui ont un objectif spécial.

     Au total, et eu égard à ce qui précède, il peut être dit que non seulement la controverse et les disputes entretenues sont inopportunes, mais demander au Président Macky SALL de ne tenir aucun compte de l’éclairage apporté par le juge constitutionnel, c’est l’inviter à aller volontairement au-devant de l’infamie de la haute trahison.



                                                             Souleymane NDIAYE,
                                               Docteur en droit et en Sciences Criminelles
                                               Diplômé de l’Institut d’études politiques de Montpellier



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