L’URBANISME FORMEL PEUT-IL ORIENTER LA FABRIQUE INFORMELLE DE NOS CITES ?


 
L’urbanisme peut-être défini comme une science, une technique, un art pour une organisation rationnelle et harmonieuse des espaces urbains ou des villes. Il s’appuie sur des outils, des plans, des règlementations, des démarches et opérations, des ressources humaines formées en la matière pour encadrer  l’urbanisation ou processus de conception des villes.
Il est aisé, par conséquent, de comprendre qu’une ville devrait se créer et croître sous l’impulsion, le contrôle et l’orientation avisée de l’urbanisme pour y rendre aisée et agréable la vie de ses citadins. Est-ce le cas au Sénégal et dans la plupart des villes subsahariennes ?
Au Sénégal, le phénomène urbain ne cesse de connaître une croissance exponentielle depuis des décennies ; en effet l’hégémonie démographique et économique des villes est sans conteste, telle que le fait refléter la région-capitale Dakar : 0,28 du territoire concentrant le ¼ de la population nationale. Le développement spatial des villes a-t-il été bien pensé et encadré ?
Si nous convoquons l’histoire des villes, il apparaît qu’une ville comme Dakar a eu à bénéficier très tôt de plans d’urbanisme, même si les premiers avaient des relents militaires ou des objectifs de déguerpir des zones centres, des populations ayant élu domicile dans des taudis.
Retenons, succinctement :
o   le plan Pinet Laprade de 1862 qui couvrait l’ancienne place Protêt et actuelle Place de l’Indépendance jusqu’aux environs du port ;
o   En 1914-1915, un nouveau plan couvrant le Plateau et créant la Médina est élaboré ;
o   En 1946, un pool d’architectes et d’urbanistes français (Lambert, Gutton et lopez) était chargé de l’étude du plan directeur de la presqu’île du Cap-Vert ;
o   En 1967, le plan Ecochard, permit l’urbanisation l’essentiel des zones de la région de Dakar, notamment périphériques ;
o   Les plans d’urbanisme de Dakar horizon 2025 et 2035 (plan révisé de 2025) qui couvrent, respectivement, l’hinterland de la ville de Rufisque et intègrent la zone de l’aéroport situé à Diass dans la région de Thiès.
Ces quelques jalons posés démontrent, à souhait, qu’une planification urbaine a été belle et bien menée dans certaines grandes villes comme la métropole Dakar. Paradoxalement, dans cette ville-capitale où elle a existé depuis des siècles, avec sans nul doute la participation d’une expertise avérée (urbanistes, architectes, sociologues, ingénieurs en génie civil…), les dysfonctionnements urbains font florès. Est-ce à dire que la planification urbaine, voire l’urbanisme tel que conduit jusqu’à nos jours reste incapable à produire des villes dignes de leur statut ?
Répondre par l’affirmatif, de manière péremptoire, signifierait, certainement, la négation de tous les efforts remarquables qui ont été consentis par les différents pouvoirs publics (ante et post indépendance) pour asseoir une politique d’urbanisme et d’habitat.
Toutefois, il va de soi que l’urbanisme éprouve des difficultés énormes à contenir la « déferlante » urbaine impulsée par des logiques informelles d’appropriation du sol tentaculaires et soutenues.
En effet, son mode opératoire est, souvent, très limité dans l’espace et le temps du fait de ses moyens (financier, humain, matériel) très limités, des multiples contraintes d’ordre institutionnel, sociologique, économique, politique, règlementaire, physique…
Plus explicitement, les agglomérations urbaines sénégalaises, comme partout ailleurs en Afrique subsaharienne, sont caractérisées par une croissance démographique exponentielle défiant toute logique. Du coup, cette ruée vers les villes, mal contenue, dérive sur l’occupation anarchique d’une superficie importante de terrains urbains, souvent impropres à l’habitation et dénommés zones non aedificandi. Ainsi, est né le phénomène de « bidonvillisation » de nos cités urbaines.
Pire, si ce n’est le fait de squatter illégalement le foncier urbain, la plupart des citadins ont la fâcheuse habitude de procéder à des excroissances des limites de leurs maisons sur la voie publique, de s’approprier des réserves foncières des lotissements, rétrécissant par ce biais les rues et compromettant, par ricochet, tout projet de réalisations d’équipements collectifs et d’infrastructures de base actuel et futur.
Où était l’urbanisme ? Il devait être certainement absent du fait de sa faible couverture en documents de planification urbaine du territoire (taux de couverture de 5%  des villes sénégalaises selon les données du service de l’urbanisme) ou du long temps mis à élaborer des plans d’urbanisme ou de l’absence de contrôle de l’occupation du sol ou des blocages constitués par les lobbies politiques et autres groupes religieux et sociaux ou de la modicité des crédits alloués au secteur rendant difficile toute action de mise en œuvre de la politique dédiée en ce sens.
En définitive cet art, cette science pour la production de villes, où un habitat décent est garanti, des opportunités de travail offertes, la mobilité urbaine facilitée, l’accès au savoir aisé, devient obsolète, désarmé face aux multiples « fabricants informels » de l’urbain. Ces « artisans informels » continuent, quotidiennement, leur travail de tôlier ou de rafistolage urbain au détriment de l’harmonie, de l’esthétique, de la fonctionnalité, de la durabilité et nos villes, communes, établissements humains, deviennent stressantes, suffocantes et invivables.
L’urbanisme, tel qu’enseigné avec ses méthodes, est-il adapté aux logiques de fabrication ou production des villes sénégalaises ? Bénéficie-t-il de tout l’intérêt ou la place qui devait être la sienne dans la définition des politiques publiques ?
Certainement, cette modeste contribution n’aurait pas la prétention de répondre à ces interrogations mais, au regard du budget alloué au secteur de l’urbanisme et de la modicité des moyens humains et matériels, il demeure certain qu’une reconsidération de sa position est une nécessité pour relever les défis de la modernisation des villes, de leur sécurité, résilience,  et de la décentralisation.
 
 
Mamadou DIENG
 VISION GUEDIAWAYE
 Email : mdieng14@yahoo.fr
Lundi 18 Septembre 2017




Dans la même rubrique :