L'IMBROGLIO de la balistique


L'IMBROGLIO de la balistique
L'on permettra à un journaliste sexagénaire expatrié de donner modestement son avis sur le brulant sujet de la mort de l'étudiant Bassirou Faye. Mon propos ne sera pas politique (je laisse ce privilège aux confrères qui en ont la qualification). Il ne sera pas non plus moralisateur (sans doute la conscience de mes propres insuffisances)...
Le décès de l'étudiant de l'UCAD est un horrible drame. De combat juste et largement victorieux, il est devenu, hélas, le nouveau fond de commerce de politiciens et d'intellos aux pensées toxiques. Peu importe, l'essentiel pour ces funestes théoriciens est,  semble-t-il, d'exister (avec son cortège de haine)... Étroit dans son costume et maladroit dans sa réaction, l'état a choisi l'urgence comme réponse: un "magicien" Français de la balistique engagé à prix d'or, dit-on. Un moindre mal, à première vue. Un remède confus, en réalité.
Meurtri dans sa chair, le monde estudiantin (et certains de ses soutiens démagogiques) crie vengeance. Mais la police technique et scientifique n'as pas vocation à désigner un individu à la vindicte populaire. Elle est dans la recherche  de la preuve qui garde l'avantage d'être objective et impartiale, basée sur des faits.
Le traitement de la scène de crime ne concerne pas uniquement la phase de découverte ou de son lieu de commission. L'intervention des spécialistes, qu'ils soient techniciens de scènes de crime ou fonctionnaires de l identité judiciaire ou de la gendarmerie, peut etre sollicitée par les  enquêteurs dans tous les lieux qui sont liés à l'infraction et où l'appel à leurs services s'avère nécessaire; ces scènes de crime peuvent varier excessivement dans leur ampleur géographique et quelque soit le cas, on aura l'obligation d'utiliser la même méthodologie avec de temps en temps des difficultés.
 
Au Sénégal, les policiers vont en opération avec des armes dont le canon est (souvent) rayé. Pour le criminaliste, ces rayures constituent un élément d'identification très important; séparées par des champs, ces derniers se marquent de façon plus visible sur les projectiles. L'ensemble des principes de fonctionnement d'une arme à feu laissent des traces sur la douille, traits caractéristiques de l'arme qui a tiré. D'où l'intérêt de la récente découverte de la douille, relayée par des confrères. En effet, la douille est un élément entrant dans le processus d'identification d'une arme car elle porte la marque du percuteur et du diamètre de son logement, la trace de la tête de culasse ou du bouclier (révolver), les traces d'extracteur et d'éjecteur. On observe parfois aussi la marque de la chambre à cartouche et des lèvres du chargeur (toutes les balles tirées dans la même arme, ou plus exactement dans le même canon rayé, portent des marques similaires). En balistique , le microscope comparateur permet de fournir cette preuve. En effet, disposant d'une balle ou d'un étui retrouvés sur une scène de crime, et d'une arme suspecte, un tir de comparaison est effectué dans un "puits de tir" ou un "caisson de tir". On procède ensuite à l'examen au microscope comparateur de la balle saisie sur place <<Balle de question>> et de celle récupérée dans le puits <<Balle de comparaison>>; comme on peut aussi utiliser le système C.I.B.L.E (comparaison et identification balistique par localisation des empreintes) dont les principes reposent sur des techniques d'analyse de l'image. La recherche effectuée, le système C.I.B.L.E propose une liste de <<candidats>> par ordre  décroissant de similitude. La validation revient ensuite au balisticien qui doit vérifier visuellement les résultats proposés. La confirmation définitive ne sera effective qu'après la comparaison physique des éléments de munition.
 
Les moments qui suivent la découverte d'une infraction sont particulièrement fondamentaux pour la suite des investigations. Toute modification, toute intervention peuvent amener le déplacement
, l'altération ou la destruction d'un indice matériel. Les premiers éléments de police arrivés  doivent veiller complétement à la préservation des lieux et donc de la préservation des traces et indices afin que la scène de crime ne soit pas polluée. Il faut l'évacuer, la déterminer et l'isoler pour obtenir la scène de crime rêvée qui n'existe pratiquement pas. Qu'il me soit permis d'appuyer cette vérité par cette citation: <<OH! Comme tout ce que j'ai à faire serait facile si j'avais été ici avant qu'ils n'arrivassent comme une harde de buffles et qu'ils ne se fussent vautrés partout>> "Le mystère du Val Boscombe".
En identification, il est essentiel de différencier les orifices d'entrée et les orifices de sortie des projectiles , afin d'établir la position  probable des victimes et des auteurs, en bref, des conditions de tir (surprises, on peut se trouver en présence d un projectile inclus, alors-qu il n existe pas d orifice de sortie correspondant à celui d entrée. Et au contraire, un meme projectile peut produire plusieurs orifices d entrée et de sortie sur des vêtements représentant des plis ou sur différentes parties mobiles du corps). D'une façon générale, on peut dire que selon la matière atteinte, les orifices ont des caractéristiques différentes.
==> Pour les trajectoires intracorporelles: il est indispensable de disposer des éléments fournis par l'expertise médico-légale afin de  rendre les conclusions  cohérentes quant au déroulement des faits. On connait la distance exacte du tir lorsque l'on obtient, lors du tir de comparaison, des traces identiques à celles du support saisi. Et si les distances de tir peuvent etre établies de façon précise entre zéro et 70 centimètres pour les tirs de cartouche à projectile unique, on ne dispose pas au-delà d'éléments permettant de conclure.
==> Pour les trajectoires aeriennes: à condition de disposer de deux orifices produits par le passage de la balle, il est possible de reproduire la trajectoire et de designer l'origine du tir en utilisant un appareil de visée laser semblable à celui des géomètres. Cependant,  les investigations n'ont une chance d'aboutir que si la preservation des lieux est telle que la position des impacts sur lesquels on se base reste inchangée.
Lors de l'utilisation d'une arme à feu, divers éléments sont propulsés hors du canon et accompagnent le projectile sur des distances variant en fonction de leur nature. Dans les cas des tirs dits << à bout touchant appuyé >>, les gaz provoquent l'éclatement des tissus vestimentaires de la peau. C'est la forme très particulière de cet éclatement qui permet de conclure à une distance de tir nulle. Et c'est la présence de brulures au pourtour de l'orifice d'entrée qui fournit des informations quant à la distance qui séparait la bouche du canon de sa cible. Enfin, lors de son passage dans l'arme, le projectile se charge de salissures particulières. Au moment de la pénetration de la balle, celle-ci se débarasse de ses dépots et provoque une trace très significative, appelée << collerette d'essuyage >>. Ces memes salissures se déposent sur la main du tireur ou dans son environnement. Immédiat, constituant les résidus de tir.
Plusieurs techniques instrumentales peuvent etre employées pour l'analyse des résidus de tir: la spectrométrie d'absorption atomique (les prélèvements se font sur des cotons tiges embibés d'acide xitrique) ou lamicroscopie électronique à balayage qui peut-être couplée à la micro analyse X à dispersion d'énergie (les prélèvements se font sur des<< tamponnoirs >>dont la surface totale est balayée par un faisceau d'élections).
Il se dit ici et là qu'il est étonnant, que notre pays n'ait pas un seul spécialiste de la balistique... Il n'existe pas desuper-rambo balisticien comme on en voit dans les << policiers spaghettis >> d' Hollywood. Il n'est pas necessaire non plus d'etre un surdiplomé de l'enseignement supérieur.
Après un passage à l'institut de criminologie de Paris, notre maitre et ami l'illustre professeur Henri Baruk de l'académie de médecin (neuro-psychiatre et criminologue) auprès duquel nous avons appris les rudiments du métier, nous a toujours enseigné que la police  technique et scientifique (médecine légale-anthropologie criminelle-balistique-incendie) ne s'apprenait pas isolément sur les bancs de la FAC, mais au contact de la réalité et  à l'observation en labo: << soyez un autodidacte de la" PTS", et vous augmenterez votre puits de connaissance >>, aimait-il à répéter. Comme il avait vu juste! La police technique et scientifique est une science pluridisciplinaire dans laquelle s'activent plusieurs spécialistes: du policier de faction chargé d'isoler et de préserver la scène de crime, en passant par les agents de l'identité judiciaire, enquêteurs, armuriers, médecins légistes, physiciens, chimistes, chacun joue sa partition pour parvenir à l'administration d'une preuve indiciale. La plupart des fonctionnaires de la police scientifique dans les pays développés sont des sous- officiers exerçant sous l'autorité d'un haut fonctionnaire.  Nos policiers  en sont capablesEncore faut-il leur en donner les moyens avec des installations adéquates (labos, équipes opérationnelles...)
 
Les techniciens de la police technique ont une obligation de travail 24h/24, et 365 jours par an. Cela se constitue d'une équipe de trois personnes:
-le photographe fige la scène en utilisant la triangulation (plusieurs angles visés)
-le déssinateur va positionner les principaux indices qui sont reportés sur un 1er croquis, retravaillé ensuite dans les services de l' identité judiciaire.
-le dactylotechnicien chargé de mettre en réaction des empreintes digitales avec l'emploi de poudres et de pinceaux, en essayant de privilégier les recherches les plus pointues: prélèvements biologique.
Cette équipe est rejointe par des gens qui arrivent le plus vite possible avec du matériel lourd et sophistiqué. Et au fur et à mesure que les techniciens vont progresser, les différents indices vont figurer à la fois sur les photos et le plan. Il faut une cohérence entre les constatations écrites et l'album d'état des lieux.
La recherche sur une scène de crime est longue, minutieuse, fastidieuse et demande des personnels particulièrement formés (
-formation de 8 semaines pour obtenir le brevet d'identité judiciaire
-formation de 5 semaines réservée aux méthodes de prélèvements, 3 semaine dans un centre de formation et 15 jours dans un labo de PTS)
Qui ose encore prétendre nos policiers incapables de faire le boulot? La réponse est politique (moyens). Et dans le cas de l'affaire de l'étudiant Faye, la véritable question est de savoir comment la police urbaine chargée d'encadrer un conflit social a pu etre armée avec des balles réelles... Il est difficile de mettre en cause les politiques. En revanche, les responsabilités dans la hiérarchie des képis doivent etre situées...
 
El Hadj Diouf, journaliste-criminologue
Paris

Samedi 30 Août 2014




Dans la même rubrique :