IMMUNITE PARLEMENTAIRE : l’irresponsabilité et l’inviolabilité !


A l’écoute des commentaires et interprétations faits sur l’affaire de l’édile de la ville de Dakar, l’opinion retient au moins le terme « immunité parlementaire » qui est fréquemment utilisé dans le langage des intervenants.
Mais ce qu’il faudrait alors comprendre, l’immunité parlementaire c’est une reconnaissance d’un statut protecteur qui renferme un ensemble de dispositions assurant au député un régime juridique dérogatoire  au droit commun. Cette protection spécifique trouve sa source dans l’art. 61 de notre constitution puis l’art.51 et 52 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Elle répond au respect de la volonté du peuple à travers la délégation de sa souveraineté et de l’expression de la liberté dans l’exercice du mandat parlementaire.
Le souci de concilier le principe de l’égalité de tous citoyens devant la loi et de la nécessaire préservation de l’exercice du mandat parlementaire, a conduit à distinguer deux catégories d’immunités : l’irresponsabilité et l’inviolabilité.
                                                       
L’IRRESPONSABILITE

L’irresponsabilité, immunité absolue, soustrait le député de toute poursuite pour les actes commis dans l’exercice de son mandat. Elle est établie par la constitution dont l’article 61 énonce le principe général, je cite « Aucun député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ».
Cette disposition constitutionnelle est reprise par la loi organique portant Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, dans l’alinéa premier de l’article 51 qui complète et donne plus de détail sur les principes de subsidiarité (que l’on va voir dans l’autre partie concernant l’inviolabilité).
L’irresponsabilité couvre donc tous les actes liés à la fonction, notamment : interventions ou votes en plénière comme en commissions, propositions de loi, amendements, rapports ou avis, questions orales ou écrites et d’actualités, actes accomplis dans le cadre d’une mission confiée par l’Assemblée nationale.
L’irresponsabilité a un caractère absolu et protège contre toute action judiciaire, aucune procédure ne permet de la lever. Elle est permanente et s’oppose aux poursuites motivées par des actes commis durant le mandat, même après la fin de celui-ci. La mise en œuvre de l’irresponsabilité relève de l’autorité de l’Assemblée nationale et du respect  par le pouvoir judiciaire, elle constitue un moyen d’ordre public.
                                                   
L’INVIOLABILITE

L’inviolabilité tend à éviter que l’exercice du mandat parlementaire ne soit entravé par certaines actions pénales visant des actes commis par le député lui-même et en tant que simple citoyen. Elle réglemente les conditions dans lesquelles s’exerce l’action pénale pour les faits étrangers à l’exercice du mandat parlementaire.
L’inviolabilité est exclusivement attachée à la personne du député, elle ne joue qu’en matière correctionnelle ou criminelle et a une portée réduite à la durée du mandat. Contrairement à l’irresponsabilité dont les effets ne sont pas limités dans le temps.
L’article 51 du Règl.int de l’Assemblée nationale évoque les principes de subsidiarité qui s’articulent autour de 3 cas de figure. C’est l’Assemblée nationale ou son Bureau qui détient en toute souveraineté le pouvoir d’autoriser ou d’arrêter les poursuites contre un ou plusieurs de ses membres. Les cas de figure sont les suivants :
- Aucun député ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière correctionnelle ou criminelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale, sauf les cas de flagrant délit.
- Aucun député ne peut, hors session, être arrêté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée nationale, sauf les cas de flagrant délit. 
- La détention ou la poursuite d’un député est suspendue si l’Assemblée le requiert.
En France, l’inviolabilité est une vielle pratique connue depuis la révolution de 1789, elle était conçue à cette époque comme un acte de résistance à l’autorité royale. Il fallait alors préserver l’indépendance du législateur face aux deux pouvoirs exécutifs et judiciaires. Cela est ainsi institué par la constitution à son article 26 puis l’article 80 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale française.  Mais, avec la réforme constitutionnelle du 4 août 1995 survenue après, le régime d’inviolabilité a changé et ne protège plus le député contre l’engagement de poursuites (mise en examen). Par contre, pour le contrôle judiciaire, le député ne peut faire l’objet d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté sans l’autorisation Bureau de l’Assemblée, sauf les cas de crime ou de délit flagrant ou de condamnation définitive.
Sous la Vème République, l’Assemblée nationale française a reçu 47 fois des demandes de levée d’immunité parlementaire, 17 demandes accordées dont 8 après la réforme constitutionnelle de 1995. Il y a aussi d’éminentes personnalités françaises qui ont connues la levée de leurs immunités parlementaires, le cas de François Mitterrand en 1959 sur l’affaire du faux attentat du jardin de l’observatoire, Bernard Tapie à deux reprises en 1993 et 1994 sur la fraude fiscale, récemment Marie le pen et Gilbert collard en 2017 sur la diffusion des images violentes des victimes de l’Etat islamique.
Quant au Bénin (je cite généralement en exemple pour la clarté de ses textes législatifs), l’article 70 du Règl. Int  énumère les cas qui nécessitent la levée de l’immunité du député.   À savoir : le cas de délit ou de crime flagrant lorsque le député auteur, co-auteur ou complice de l’infraction poursuivie, aura déjà été ou non arrêté et détenu ; le cas de délit ou de crime lorsque des poursuites doivent être engagées contre le député auteur, co-auteur ou complice d’une infraction ;  et enfin le cas de délit ou de crime lorsque les poursuites engagées contre le député auteur, co-auteur ou complice de l’infraction sont provisoirement suspendues.
 
 
L’AFFAIRE KHALIFA SALL : les pistes ouvertes par le Règlement intérieur et la passivité des députés de Manko taxawou Sénégal - MTS ?
L’article 52 du Règl.int de l’Assemblée donne le droit de formuler une demande de suspension des poursuites déjà engagées contre un député, comme c’est le cas pour le député Khalifa Sall.
Pourquoi donc les députés du MTS, ne sont-ils pas attelés à cette tâche pour demander la suspension des poursuites de leur collègue, aussitôt après l’installation de la nouvelle législature ?  Ignorance ou calcul politicien ?
Il est d’ailleurs étonnant de voir une absence de réaction pour ces députés du MTS.  Et pourtant, le règlement intérieur leur a offert les moyens de mener la bataille de procédures internes pour la libération de leur collègue !
Mais malheureusement, on a même l’impression que  dans ce combat sur les procédures internes à l’Assemblée, c’est le concerné Khalifa Ababacar Sall qui prend seul en main son propre destin, à travers les correspondances envoyées au président de l’institution parlementaire par le biais de ses avocats. Certes,  les avocats jouent leur partition, mais la frontière de leurs devoirs professionnels se tient à l’application des règles de droit !
Or, concernant l’Assemblée nationale,  sa loi organique donne seulement aux députés le privilège de faire la demande en matière de suspension des poursuites déjà engagées contre un parlementaire et à l’autorité judiciaire en charge les poursuites le droit de solliciter la levée de l’immunité parlementaire du député.
Les députés du MTS devraient donc être plus alertes pour éviter à leur collègue, Khalifa Ababacar Sall, de tomber sous le coup des dispositions de l’art.51 du Règl.Int dont le dernier alinéa prévoit : « le député qui fait l’objet d’une condamnation pénale définitive est radié de la liste des députés de l’Assemblée nationale sur demande du Ministre de la justice ».
IL est important que les députés du MTS comme ceux du GPLD et des Non-inscrits méditent dans leurs démarches la belle leçon de physique. Elle permet de reconnaitre la force gravitationnelle et le concept de poids. Et, la loi Newton énonce que, si un objet exerce une force sur un deuxième objet, ce dernier exerce une force de direction opposée et de grandeur égale sur le premier objet. En clair, le groupe de la majorité à l’Assemblée nationale pèse certes par son nombre, mais il doit être opposé à la force de direction et de grandeur que symbolise la bonne maîtrise du Règlement intérieur.
                                                       
                                                                             
Alioune  Souaré
Ancien député - Rufisque
 
 
Vendredi 17 Novembre 2017




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