Homélie de la messe de la nuit de Noël prononcée par le Cardinal Sarr, hier, à la Cathédrale de Dakar.

« Joie au ciel ! Exulte la terre ! Les masses de la mer mugissent ; la campagne tout entière est en fête. » (Ps 96, 11-12).


Homélie de la messe de la nuit de Noël prononcée par le Cardinal Sarr, hier, à la Cathédrale de Dakar.
Chers confrères dans le sacerdoce,
Chers religieux, religieuses,
Chers frères et sœurs dans la foi,
 
1- En cette Sainte Nuit de Noël, nous faisons nôtres ces paroles du Psalmiste, qui nous invitent à la joie. Cette joie, nous la tenons de la Bonne Nouvelle, qui est au cœur de la grande Annonce des Anges aux Bergers de Bethléem : « Aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David. » (Lc 2, 11). Cette joie, c’est celle de l’espérance du Salut annoncé, de l’espérance de la transformation des hommes en hommes nouveaux par le Sauveur que Dieu leur a envoyé, de l’espérance de la transformation du monde en monde nouveau, par le même Sauveur.
 
Durant tout le Temps de l’Avent, nous nous sommes préparés à accueillir, dans notre « aujourd’hui », dans notre actualité, les paroles réconfortantes de l’Annonce aux Bergers. Ce qui est merveilleux, c’est que nous sommes invités à vivre, dans notre « aujourd’hui », le moment singulier de l’histoire, au cours duquel Dieu s’est fait homme, revêtant notre chair, et se faisant présence dans nos réalités quotidiennes.
 
Aujourd’hui ! Le mot est proclamé dans la liturgie de Noël, pour nous apprendre que la Naissance du Sauveur est  une réalité, que nous pouvons et devons vivre aujourd’hui, comme une actualité, en particulier dans les célébrations liturgiques. Fêter Noël, c’est certes comprendre qu’en son Fils Jésus-Christ, Dieu s’est fait homme, et par amour pour l’humanité. Mais fêter Noël, c’est aussi découvrir ou redécouvrir que Jésus, le Fils de Dieu fait homme, est quelqu’un pour moi, qu’Il fait partie de ma vie, pour la transformer et lui donner un sens. L’Apôtre Paul, dans la deuxième lecture, nous invite à découvrir, avec les yeux de la foi, qu’à Bethléem « la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. » (Tt 2, 11), par la Naissance de l’Emmanuel, Dieu-avec-nous.
 
2- « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre une lumière a resplendi. » (Is 9, 1). Le Prophète Isaïe présentait ainsi un visage du Sauveur annoncé par l’Ange de Bethléem : Il est Lumière pour les hommes, pour le monde. En célébrant, dans la joie, cette messe de la Nuit de Noël, demandons-nous si nous avons réellement perçu cette Lumière, si nous la percevons aujourd’hui même, au point de nous sentir appelés à effectuer le passage des ténèbres à la lumière, passage que magnifiait le Prophète Isaïe, dans la première lecture. Demandons-nous encore si nous avons réellement réussi à ouvrir les yeux de notre foi sur la venue du Fils de Dieu dans notre monde, et dans la vie de chacun de nous, pour y voir la chance de la levée d’une Lumière au milieu des ténèbres.
 
D’après l’évangéliste Saint Luc, les habitants de Bethléem, en particulier les maîtres et le personnel de l’hôtellerie, ont été indifférents au besoin d’accueil urgent de Joseph et de Marie, future mère en travail d’enfantement. Les Bergers eux n’ont pas du tout été indifférents : ils ont accueilli l’Annonce de l’Ange ; ils y ont cru, et ils ont couru pour aller voir le signe donné et le contempler : le « nouveau-né emmailloté et couché dans une crèche. »
 
 En fêtant Noël, demandons-nous si nous faisons le passage de l’indifférence des gens de Bethléem à l’écoute attentive des Bergers, écoute qui les a mis en branle. Aujourd’hui chers frères et sœurs, ne restons pas dans l’indifférence. Il est vrai que nous fêtons Noël, mais avec quelle attention au sens vrai et à la portée vraie de l’Evènement ? Aujourd’hui, en cette Nuit, sortons de l’habitude et de l’indifférence qu’elle génère, pour marcher sur les pas des Bergers, pour aller voir et contempler, à la Crèche, le signe donné, c’est-à-dire l’Enfant nouveau-né, Lumière sur le monde.
 
Remarquons ensuite qu’autour de la Crèche, où repose l’Enfant de Bethléem, il n’y a rien de spectaculaire, mais seulement un enfant, dans sa fragilité et la précarité d’une mangeoire, un enfant pour lequel il n’y avait pas de place. Pourtant, c’est le Fils de Dieu fait homme. Comme les Bergers, considérons alors cette précarité, et recevons-la comme un message que Dieu nous adresse.
 
Cet appel de Dieu est d’autant plus actuel que ce Noël 2014 se célèbre au moment, où tant d’hommes et de femmes, d’enfants et de jeunes sont victimes de l’exclusion à travers le monde, comme Marie et Joseph, qui n’ont pas trouvé place à Bethléem.
 
Cet appel est d’autant plus actuel que Noël se célèbre encore aujourd’hui au cœur des contrastes, qui caractérisent nos familles, notre société, et notre monde. Aujourd’hui, certains se payent le luxe de réveillons bien arrosés et fastes ; aujourd’hui, nos communautés chrétiennes et nos familles peuvent se rassembler pour communier à la joie de Noël ; aujourd’hui, nos enfants peuvent jouir de l’amour et de la tendresse de leurs parents. Au moment où nous jouissons de tous ces avantages, plusieurs personnes, autour de nous et loin de nous, enfants, jeunes comme adultes, sont victimes de la précarité, qui a pour causes : abandon, prison, invalidité, maladie, guerre, deuil… Autant de situations, qui les empêchent de percevoir l’Enfant de nos crèches, comme une Lumière apparaissant au milieu des ténèbres !
 
Pensons tout particulièrement à nos frères et sœurs de la Sierra-Léone, condamnés à passer ce Noël 2014 presque dans l’anonymat, par mesure de précaution contre l’expansion de la fièvre hémorragique à virus Ebola. Pensons aussi aux familles des dizaines d’enfants massacrés dans leur école, le 16 décembre dernier, à Peshawar, au Pakistan. Pensons aux multiples enfants enrôlés dans des milices qui s’entredéchirent en Centrafrique, et ailleurs dans le monde. Ce sont autant de situations déplorables et malheureusement tristes, que nous pouvons associer à celles de tant d’autres personnes, qui vivent ce Noël dans la précarité, l’obscurité, la peur, le désespoir, et la vulnérabilité, à travers le monde.
 
Aujourd’hui, en cette Nuit, en fêtant Noël, pensons à tous ceux et celles, qui sont repoussés aux périphéries de l’Humain, contraints à se contenter de tentes, d’abris, d’étables, de mangeoires d’animaux.
 
C’est le moment, pour nous et pour eux, pour nous en communion avec eux, de prendre conscience des conséquences nuisibles, pour d’autres hommes, de certaines manières d’exercer le pouvoir religieux, politique, économique, administratif ; de certaines manières de vivre l’appartenance à une ethnie, à une culture, à une race, qui transforment les autres en exclus, en parias, en population de bidonvilles. C’est le moment de travailler, individuellement et ensemble, à mettre fin à de telles façons de vivre et de faire, qui ont cours dans le monde, en Afrique comme ailleurs, et qui produisent l’exclusion de l’homme.
 
3- Oui, chers frères et sœurs, le message de la Crèche est avant tout un message de lumière et d’amour : Dieu se fait présent aux hommes et au monde, pour habiter le présent des hommes et du monde, pour les sortir des ténèbres, les inonder de sa Lumière ; pour semer l’amour en leurs cœurs, et le faire germer en arbres fruitiers portant toujours des fruits d’amour. Dieu se fait présent à tout homme, pour le convaincre que l’offre du salut et de la vie est toujours actuel, et à saisir. Mais encore faudrait-il que nous disposions nos esprits et nos cœurs à Le rencontrer : Le rencontrer comme une Lumière au milieu des ténèbres, Le rencontrer sur le chemin de l’amour, Le rencontrer pour nous mettre à son école.
 
En effet, le Nouveau-né, qui se présente au regard des Bergers, à la fois curieux et étonnés, ne parle pas, tout simplement parce que le Message, c’est Lui : Dieu fait homme, Dieu se donnant entièrement à l’humanité, non par contrainte ou même par nécessité, mais par amour. « Car, nous confirme Saint Jean, Dieu a tant aimé le monde, qu’Il a donné son Fils Unique (…), pour que le monde soit sauvé par Lui. » (Jn 3, 16.17). C’est pourquoi, goûter à la joie de Noël, c’est goûter à la joie de Dieu nous donnant son Fils, et nous invitant à adhérer entièrement à sa Personne, à accueillir sa Lumière, son Message, son Amour. L’Amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ, le Nouveau-Né de Bethléem, est un amour qui, comme cet enfant, demande à être accueilli à bras ouverts, pour être donné à cœur ouvert.
 
Tel est, chers frères et sœurs, le carrefour où Dieu nous attend aujourd’hui, dans nos célébrations de Noël. Puisse cette fête être pour nous l’occasion d’un véritable sursaut de foi, qui nous stimule non seulement à accueillir Jésus-Christ, mais aussi et surtout à travailler à embraser le cœur et la vie de tout homme, de sa Lumière et de son Amour ; cela aujourd’hui et chaque jour de notre vie. Amen !
 
† Théodore Adrien Cardinal SARR,
   Archevêque Emérite, Administrateur Apostolique
  ‟Sede Vacante” de Dakar
 
Jeudi 25 Décembre 2014




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