Entretien avec Mme Jacqueline Moudeïna, Présidente de l’ATPDDH : « Des sbires de Habré ont été repris dans le système Déby… »


Entretien avec Mme Jacqueline Moudeïna, Présidente de l’ATPDDH : « Des sbires de Habré ont été repris dans le système Déby… »
La présidente de l’Association  Tchadienne pour la Promotion et la défense des droits de l’homme (ATPDDH), Jacqueline Moudeïna, se positionne farouchement contre l’impunité suite aux années de conflits, tueries et tortures…vécues par le Tchad durant le règne de Hissène Habré.  Mais justement pourquoi toujours Habré ? Que répond-elle à ses détracteurs qui parlent de fausses victimes au sein de son association ? Que pense-t-elle de ces tortionnaires toujours en liberté et occupant même des postes de responsabilité sous  l’actuel régime ? Au fait, quels sont ses rapports avec Ibriss déby l’actuel homme fort du Tchad ? Interpellée sur ces questions brûlantes, l’avocate et militante des droits de l’homme n’y est pas allée par quatre chemins pour cracher ses vérités. Entretien :

Madame Moudeïna, dans un conflit, il y a plusieurs protagonistes. Pourquoi le nom de Habré revient-il toujours dans vos propos ? Est-ce qu’il ne peut y avoir d’autres coupables dans cette affaire ?

Certes, il n’y a pas que Habré. Vous savez, nous avons décidé dans cette lutte de travailler sur deux fronts. Dès le départ, en 1998, nous avons commencé à réfléchir sur ce dossier, et nous nous sommes engagés dans une lutte contre l’impunité. C’est notre grand programme au niveau de l’ATPDDH qui est l’association initiatrice de cette procédure. Mais cette lutte contre l’impunité ne doit pas être quelque chose de disparate. On avait une spécificité, c’était l’ère Habré.
Donc nous avons opté pour des poursuites contre Habré, mais on ne savait pas comment le faire. On n’avait pas assez de victimes pour cela, et on n’avait même  pas assez de moyens. On avait toutes les idées, mais pas les moyens. Nous avons pensé à avoir recours à Human Right Watch, inspirés par l’affaire d’Auguste Pinochet pilotée par Reed Brody. C’est ainsi que nous nous sommes rapprochés de Human Right Watch pour qu'ils nous aident à poursuivre Hissène Habré, que les gens considèrent comme le Pinochet africain. Alors que pour Auguste Pinochet, c’est 200 cas de torture, sous le régime de celui-là, il y a 
eu 40 000 morts. Donc cela n’a rien à voir avec Pinochet. Mais c’est tout de même l’affaire Pinochet qui nous a inspirés. Quand l’organisation a accepté, nous avons organisé le combat sur deux fronts : externe et interne. Nous avons commencé par déposer une plainte contre Habré, qui est l’unique personne à l’extérieur que nous poursuivons, sur le plan international s'entend.
Revenus chez nous, nous avons déposé des plaintes contre les complices de Habré. Cela concerne tous les agents qui ont travaillé sous Hissène Habré. Il ya une plainte que nous avons déposée, c’était exactement, le 17 octobre 2000, devant les juridictions tchadiennes pour n’oublier personne. Nous estimons que le drame sous Habré ne méritait pas qu’on 
s’attaque à sa seule personne. C’est tout le régime qui doit être jugé. Nous les avons cités nommément, ceux qui sont des directeurs, des sous directeurs, de la DDS.  Nous avons fait une grande liste de tous les agents.
Malheureusement, ces plaintes n’avaient pas été prises en compte. Il a fallu la création des Chambres africaines extraordinaires et qu’elles se mettent en branle, pour que nos juges d’instruction les prennent en compte. La procédure en route, mais elle est lente, elle n’avance pas.
Il nous revient que parmi des personnes citées et ciblées au Tchad, il y en a qui non seulement sont encore en liberté, mais occupent 
toujours des postes de responsabilité sous l’actuel régime…
C’est exact et nous l’avons toujours décrié. Ces tortionnaires sont 
toujours là. Et l’un d’eux avait même ordonné qu’on me jette une grenade dessus. Des sbires de Habré dont les noms figurent sur la liste que nous avons déposée devant les juges d’instruction tchadiens existent encore et sont bien là. Certains occupent effectivement de hauts postes de responsabilité.
Que répondez-vous à ceux qui disent que vous avez des victimes préfabriquées ? 
Quand il s’agit de grands dossiers comme celui-là, ces présumés criminels cherchent toujours à s’en sortir en vilipendant des personnes.  Ou alors en jetant l’anathème sur les juridictions qui sont censées, les juger. Personne ne trouve grâce à leurs yeux. Donc c’est tout à fait normal qu’on dise qu’il y a manipulation. Je leur réponds seulement que je n’accepterai jamais qu’on ait du mépris pour ces personnes qui ont trop souffert et qui portent les stigmates de toutes  ces souffrances, ces tortures.  Nous avons de véritables victimes qui sont là et qui n’hésitent à se déshabiller pour vous présenter les cicatrices qu’elles portent.
Quelles sont vos relations avec le régime de Déby ? Avez-vous des entraves dans l’exercice de vos activités ?
Nous avons beaucoup d’entraves. J’ai été victime d’un attentat en 2001. L’attentat a été perpétré par des sbires de Habré qui ont été pris dans le système Déby. Moi, je ne pense pas aujourd’hui que je sois bien vue dans le système Déby. S’il y a une personne qui est combattue par le système Déby, c’est moi. Et ce dossier dont je suis pratiquement l’un des artisans, on tente de me l’arracher. Vous verrez qu’au Tchad, on va parler et faire parler des personnes qui ne connaissent même pas l’origine de ce dossier. Des personnes qui y étaient au début et qui sont parties, parce qu’ells n’ont jamais cru qu’on pouvait amener ce dossier loin. Mais aujourd’hui, ce sont elles qu’on présente. Quand Habré a été arrêté, des gens ont fêté dans cette ville de Ndjaména. Mais on n’a jamais fait allusion à une Jacqueline Moudeïna. On ne m’a pas vue à cette manifestation. Des gens ont brandi des pancartes pour dire nous avons réussi, alors qu’ils ne connaissent même pas ce dossier. Mes rapports sont non seulement inexistants, mais très mauvais avec le régime actuel de Déby. Je ne suis pas acceptée...
Vous réclamez réparation à l’Etat tchadien, est-ce vous voyez d’un bon œil qu’il se constitue partie civile dans cette affaire et qu’il aille, après rejet jusqu’à interjeter appel ?
Justement, je ne vois pas pourquoi ce n’est que maintenant que l’Etat se réveille. Vous savez en 2000, quand nous étions à Dakar pour la première fois, pour déposer les plaintes entre les mains des magistrats instructeurs, nous avons cherché à savoir ce qu’a fait l’Etat depuis la sortie d’Hissène habré.  Nous avons été obligés de nous rapprocher du greffe du tribunal de Dakar.
Nous avons constaté que le Tchad avait intenté une action à l’époque. Cette action en référé, en procédure d’urgence, portait sur la récupération de l’avion à bord duquel était parti Habré et le téléphone satellite qu’il détenait. Les juridictions sénégalaises ont fait droit à cette demande de l’état tchadien.  Pourtant le Tchad pouvait évoquer le problème économique, c'est-à-dire l’argent, la somme de 7 milliards de Francs Cfa qu’il avait emportée. Et les 7 milliards sont les seules traces retrouvées car, outre le trésor public qui avait été nettoyé, il avait instauré ce qu’il appelait ‘’l’effort de guerre’’. Les femmes donnaient leurs bijoux, une fortune colossale. Pourquoi 
l’état tchadien n’a pas déposé une requête en recouvrement des sommes emportées?
Il a fallu attendre notre action, mais aujourd’hui les gens tentent de nous arracher notre action. On va jusqu’à dire que c’est le dossier de l’Union africaine.
Non, ce n’est pas son dossier, l’Union africaine n’a jamais pris l’initiative de poursuivre Habré ! Ce n’est même pas une instance judiciaire. C’est notre dossier qui a fait son chemin pour arriver à l’Union africaine par la volonté de Wade. Et c’est maintenant que le Tchad parle de préjudice économique.
 
Entretien réalisé par Fara Michel Dièye
Envoyé spécial de Dakaractu au Tchad
Mercredi 4 Juin 2014




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