"En Arabie saoudite, le changement n'est pas pour maintenant"

"La politique de l'Arabie saoudite" ne changera pas, a déclaré Salmane ben Abdel Aziz al-Saoud, 79 ans, en montant sur le trône. Revue des dossiers clés.


"En Arabie saoudite, le changement n'est pas pour maintenant"

En dépit de la modestie de sa population (30 millions d'habitants dont 20 millions de Saoudiens), l'Arabie saoudite  n'est pas un pays ordinaire. Premier exportateur de pétrole au monde (7 millions de barils par jour) et maître des deuxièmes réserves mondiales d'or noir derrière le Venezuela  (266 milliards de barils), allié traditionnel des États-Unis  et poids lourd au sein du monde arabe et musulman - il abrite sur son sol les deux principaux lieux saints de l'islam, La Mecque et Médine -, le royaume des Saoud est considéré comme le pivot de la stabilité au Moyen-Orient, cette région éminemment troublée. Tout changement politique en son sein est signe d'inquiétude pour ses voisins et alliés. 

Salmane, le nouveau roi, pourrait-il, en dépit de sa promesse de continuité, bouleverser la donne ? Une certitude : les changements, lorsqu'ils ont lieu, ne se font que très lentement en Arabie saoudite. Le roi Salmane devra prendre ses marques, s'assurer des alliances - même s'il était prince héritier et ministre de la Défense. Ainsi, s'il est dit "très conservateur" alors que son prédécesseur était vu plus "libéral" (en particulier vis-à-vis des femmes qui devraient pouvoir voter en 2015, mais n'ont toujours pas le droit de conduire), ces qualificatifs ne veulent pas dire grand-chose. Le royaume est profondément fondamentaliste et il s'est construit sur une alliance entre le chef d'une tribu, celle des Saoud, et Mohammed ben Abd el-Wahhâb, fondateur du wahhabisme, le courant le plus rétrograde de l'islam, au XVIIIe siècle. Une alliance indéfectible. Ces dernières semaines, sept femmes ont été condamnées à la décapitation - et exécutées - en public dans le royaume. Sous un roi officiellement "plus libéral", mais il est vrai déjà absent.

 
 

Pro-américain 

Le premier dossier sur lequel le roi Salmane est attendu : les relations avec les États-Unis. Elles devraient se renforcer. Le nouveau roi est vu comme un "pro-américain" au sein du royaume. En fait, les relations peuvent être plus ou moins excellentes entre Riyad et Washington, elles ne sont jamais totalement mauvaises. Et ceci depuis 1945, année où fut signée sur le navire Quincy une alliance qui ne s'est jamais démentie entre Roosevelt et le roi Abdel-Aziz ibn Saoud. Celle-ci a prévu que les Américains disposaient du pétrole saoudien en contrepartie de la sécurité militaire qu'ils assuraient au royaume pour soixante ans. En 2005, l'accord a été prolongé pour soixante autres années. 

Si le roi Abdallah était parfois mal vu de Washington qui le jugeait trop "nationaliste", il fut en fait très coopératif avec Barack Obama. Il a toujours réglé les tensions qui pouvaient naître de points de vue divergents sur la Syrie, le rôle de l'Arabie saoudite dans le terrorisme (15 des 17 terroristes des Tours jumelles étaient saoudiens) ou la politique américaine de rapprochement avec l'Iran. Ce dernier point inquiète et irrite terriblement les Saoudiens qui en veulent beaucoup à leur allié américain. Ils craignent de perdre leur place d'alliés privilégiés de Washington dans la région et encore plus de voir les Américains soutenir les chiites plutôt que les sunnites au Moyen-Orient, dont ils se considèrent les chefs de file. 

Le roi Salmane, jugé pro-américain, ne devrait pas avoir de difficultés à rassurer les Américains sur ses intentions. Dès le premier jour de son règne, il a nommé le prince Mohammed ben Nayef, 56 ans, puissant ministre de l'Intérieur, au poste de vice-prince héritier. Un geste vis-à-vis de Washington ? Les Américains ont parié sur Ben Nayef et l'ont reçu avec les honneurs à Washington alors qu'il n'était pas encore ministre de l'Intérieur - il a été nommé en 2012. 

Prix du pétrole

Le dossier du djihadisme sera-t-il, comme par le passé, un problème avec les États-Unis ? Le royaume saoudien a soutenu les salafistes en Afghanistan (comme la CIA) dans les années 1980, mais il a ensuite souffert du terrorisme depuis les années 1990 et a mené une répression implacable contre les djihadistes à l'intérieur du royaume. Mais en Arabie saoudite, la main droite ignore ce que fait la main gauche. En clair, la répression à l'intérieur du pays n'empêche pas une aide aux djihadistes à l'extérieur du royaume. "L'aide aux djihadistes vient plus du pouvoir religieux que du pouvoir politique", expliquait Stéphane Lacroix en 2013, lors d'une conférence à l'IHEDN-Euromed. Ainsi, après avoir financé des groupes djihadistes contre Bachar el-Assad, le président syrien, dont Riyad a juré la perte, les Saoudiens, sur pression américaine, ont rejoint la coalition internationale pour bombarder les groupes liés à Daech. L'actuel prince héritier, le prince Moqrin, hier responsable des renseignements intérieurs et extérieurs, a mené à ce titre une guerre totale au terrorisme. Le roi Salmane devrait poursuivre cette politique. 

C'est peut-être sur l'Iran et la Syrie que le changement peut s'opérer avec Salmane. Au sein du régime saoudien, certains estiment qu'il est préférable de négocier avec Bachar el-Assad tant qu'il est faible, plutôt que d'avoir demain à négocier avec lui et avec un Iran devenu fort, si Téhéran se réconcilie avec les Américains. Il semblerait par ailleurs que le nouveau roi, comme son prédécesseur, soit plus favorable à une tentative de rapprochement avec l'Iran qu'à un affrontement. Une position qui semble aussi celle de son fils, Mohammed ben Salman, 31 ans, nommé, dès le 23 janvier, nouveau directeur de cabinet du monarque et ministre de la Défense. Il sera un des hommes forts du nouveau pouvoir. 

Dernier dossier clé : le prix du pétrole. Le nouveau roi va-t-il poursuivre la politique du royaume qui consiste à conserver un niveau élevé de production d'or noir pour faire chuter les prix et rester maitre du marché ? Là encore, il ne semble pas qu'il y aura de changements, au moins à court terme. Cette politique qui s'oppose frontalement aux producteurs de pétrole de schiste américain et à l'Iran peut être révisée pour des questions de politique étrangère. Mais elle s'avère aussi coûteuse pour l'Arabie saoudite, dont les hydrocarbures représentent 90 % des recettes budgétaires, même si celle-ci a des ressources : le bas de laine saoudien - près de 800 milliards de dollars - doit lui permettre de tenir près de dix ans.

Samedi 24 Janvier 2015




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