Ebola sonne le réveil des dirigeants

La maladie met au grand jour les faiblesses des systèmes de santé laissés à l’abandon


Ebola sonne le réveil des dirigeants
La récente flambée de maladie à virus Ebola en Guinée, au Libéria et en Sierra  Leone a révélé la vulnérabilité de nombreux systèmes de santé africains. Ceux-ci  sont souvent médiocrement  financés, complètement négligés et, dans certains cas, pratiquement inexistants. Les systèmes de santé, qui manquaient déjà  d’équipements et d’infrastructures de base, de personnel de santé et d’infrastructure d’appui, ont été ainsi débordés en raison de la virulence de l’épidémie.
L’Ebola a secoué les décideurs et les a sortis de leur torpeur,  à la différence du paludisme, de la tuberculose et d’autres épidémies provoquant chaque année la mort de millions de personnes en Afrique, à l’exception peut-être du VIH/sida.
Le destin a voulu que l’épicentre du virus se trouve  dans des pays qui comptent parmi les plus pauvres au monde, encore que la Sierra Leone et le Libéria aient été classés en 2013 deuxième et sixième respectivement sur les 10 économies à la croissance la plus rapide du monde par la Brookings Institution – un groupe de réflexion américain. Selon le New York Times, « l’effondrement des systèmes de santé dans les pays touchés a déjà de profondes conséquences sur la santé des populations au-delà d’Ebola, du fait que les dispensaires ferment leurs portes ou bien sont débordés et ne fonctionnent plus. » La situation est  exacerbée du fait de l’état de délabrement de ces centres de santé et d’autres infrastructures, à peine en mesure de fournir des soins de base à la population, après tous les  conflits internes et les guerres civiles qu’a connus la région.
La sonnette d’alarme est tirée
Bien que les effets de nombreuses années de conflits se fassent encore sentir en Afrique de l’Ouest, ils ne suffisent pas à expliquer  les ravages causés par le virus Ebola. Graça Machel, la veuve de l’ancien Président sud-africain, Nelson Mandela, a déclaré que la flambée d’Ebola devrait tirer les dirigeants africains de leur sommeil. « Ebola a révélé l’extrême faiblesse des capacités institutionnelles de nos gouvernements ; les pays affectés ont été complètement pris de court » a-t-elle affirmé à des hommes d’affaires africains réunis en Afrique du Sud en novembre 2014.
Le pronostic pour les pays les plus affectés, dont le Mali, est encore plus désastreux. Dans un éditorial publié dans le New England Journal of Medecine, le Dr Jeremy J. Farrar du Wellcome Trust, une organisation caritative qui finance les recherches en santé, et le Dr Peter Piot de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, qui a contribué  à la découverte du virus Ebola en 1976 écrivent : « L’Afrique de l’Ouest va connaître bien plus  de souffrances et de décès  liés à l’accouchement,  au paludisme, à la tuberculose, au VIH/sida , aux maladies entériques et respiratoires, au diabète, au cancer, aux maladies cardiovasculaires et aux maladies mentales pendant et après l’épidémie d’Ebola. Ils mettent en garde contre  «un risque d’effondrement total de la société civile à mesure que les communautés  désespérées à juste titre perdront confiance dans les institutions;  Ils ajoutent qu’« en l’absence d’un effort concerté et massif, l’Ebola pourrait devenir endémique en Afrique de l’Ouest, et la population de ces pays pourrait servir de  réservoir à la propagation du virus au reste de l’Afrique et au-delà. »
En 2001 déjà, les Ministres de la santé africains avaient signé la Déclaration d’Abuja dans laquelle ils s’engageaient  à consacrer au moins 15% de leurs budgets nationaux à l’amélioration des systèmes de santé. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dix ans après cette signature 27 pays avaient  augmenté la proportion  des dépenses publiques consacrées à la santé ; mais seuls le Rwanda et l’Afrique du Sud avaient  atteint l’objectif de 15%. Plus affligeant encore, sept pays avaient  réduit leurs dépenses de santé sur la même période ; 12 autres n’avaient fait aucun progrès. Une autre fiche de notation mise au point  par Africa Health, Human & Social Development Information Services (Afri-Dev.Info), une coalition de chercheurs, a révélé  qu’en 2010, les cinq premiers pays à avoir atteint l’objectif de 15 % étaient le Rwanda (23,3 %), le Malawi (18,5 %), la Zambie (16 %), le Burkina Faso (15,7 %) et le Togo (15,4 %).
En 2013, le déficit de personnels de santé en Afrique était estimé à 1,8 million. Aussi, l’état des systèmes de santé des pays affectés n’est-il pas surprenant. Selon Afri-Dev.Info, en 2014, pour une population de 4,2 millions d’habitants, le Libéria n’avait que 51 médecins, 269 pharmaciens, 978 infirmières et sages-femmes,  tandis que la Sierra Leone, avec 6 millions d’habitants, avait 136 médecins, 114 pharmaciens et 1 017 infirmières et sages-femmes.
Lenteur de la riposte
Malheureusement le virus a frappé  des pays dont les systèmes de santé étaient déjà en très mauvais état. Pour autant, les analystes admettent  que la mobilisation contre l’épidémie  a été inadéquate. Politico, une publication américaine écrit : « On ne citera jamais la  riposte  à la flambée de virus Ebola en Afrique de l’Ouest  comme  exemple de leadership. Ni des pays impliqués, ni des autres nations, ni de la part de l’organisation internationale pour la santé qui dit avoir pour mission de répondre aux  urgences de santé publique. »
Certes, le monde entier était aux abonnés absents face à l’épidémie, mais c’est l’Organisation mondiale de la santé, la branche de l’ONU qui s’occupe des questions de santé, qui a subi le plus  de critiques. On lui a reproché d’avoir mis trop de temps à déclarer que la flambée représentait une situation d’urgence internationale. En fait, il a fallu attendre le mois d’août pour que l’OMS parle d’urgence alors que la maladie ravageait déjà les zones affectées. 
« On voit toujours mieux les choses avec du recul » a déclaré Margaret Chan, le Chef de l’OMS. « Toutes les agences auxquelles j’ai parlé –les gouvernements aussi—ont  sous-estimé l’ampleur de cette épidémie inhabituelle et sans précédent. »
Il faut dire que l’OMS a subi de sévères coupes budgétaires ces dernières années. Son  budget d’environ 4 milliards de dollars pour l’exercice biennal  2014 -2015 serait la conséquence d’une réduction de 1milliard de dollars en 2011  qui a entravé  son efficacité en matière de gestion des situations d’urgence. Le New York Times rapporte que les unités de l’OMS, chargées d’intervenir dans les situations d’urgence et lorsque des épidémies éclatent, ont subi des compressions de personnel considérables. Les professionnels chevronnés qui avaient mené de précédents combats  contre l’Ebola et d’autres maladies sont partis et plusieurs postes ont été supprimés; il s’agissait précisément du type de personnes et d’efforts qui auraient pu contribuer à réduire la contagion en Afrique de l’Ouest avant qu’elle ne se transforme en la pire épidémie d’Ebola jamais enregistrée. Néanmoins, les experts affirment que même si l’OMS avait été mieux financée, elle n’était pas un réseau d’intervention d’urgence ; elle n’était pas non plus prestataire de services de santé mais plutôt une agence technique qui fournit des conseils et un appui.
Les pays affectés doivent aussi assumer leur part de responsabilité. Ils ont attendu qu’il soit trop tard pour demander une aide internationale. Quand les gouvernements hésitent  à demander de l’aide, « ils se rendent responsables de la détérioration de la situation » a déclaré  à Politico, Sophie Delaunay, la directrice exécutive de Médecins sans frontières. Il y a cependant des raisons qui font que les pays ne s’empressent pas de demander de l’aide ou essaient de dissimuler les mauvaises nouvelles. Dans bien des cas, ces raisons sont liées à la  fierté nationale ou à  la peur de faire fuir les touristes et les investisseurs. Ces craintes ne sont pas sans fondement. Le tourisme africain a fait les frais de cette peur. Francisco Ferreira, économiste en chef de la Région Afrique  à la Banque mondiale, affirme que « l’effet de panique » lié à l’Ebola empêche les touristes de se rendre dans des pays comme le Kenya et l’Afrique du Sud où aucun cas d’Ebola n’a pourtant été déclaré.
Stigmatisation
À l’impact économique, social et politique de l’Ebola, il faudrait ajouter la stigmatisation qui y est attachée. La Ministre nigériane des finances, Ngozi Okonjo-Iweala, a mis en garde contre les amalgames qui pourraient nuire aux  économies des pays non affectés. « Si vous faites fuir les investisseurs en mettant tous les pays dans le même panier, à quoi cela sert-il ? Il faudra encore une décennie pour s’en sortir. »
Partout dans le monde, les hommes politiques, soucieux de limiter l’effet de contagion des économies africaines, ont lancé le même avertissement. « Nous devons isoler la maladie et non pas les pays affectés » a déclaré le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon.
Vaccins et profits
L’absence de médicaments ou de vaccins permettant de traiter le virus Ebola est à la base de la panique publique. Selon l’hebdomadaire américain Time, la rareté des médicaments et des vaccins n’est pas due à une absence d’innovation. « Des médicaments sont en cours de développement depuis des années, mais les entreprises  pharmaceutiques n’y voyant pas un intérêt financier , les recherches n’ont  pas progressé. »
Le Docteur Chan reprend cet argument et ajoute que s’il n’existe pas encore de traitement contre le virus Ebola, c’est notamment parce que l’industrie pharmaceutique est axée sur le profit. « Une industrie à but lucratif n’investit pas dans des produits destinés à des marchés qui ne peuvent pas payer » a-t-elle dit aux délégués présents à la conférence qui s’est tenue à Cotonou, au Bénin. Un premier vaccin expérimental a été testé sur des volontaires en bonne santé aux États-Unis et dans certains pays d’Afrique. Les résultats de ces essais sont attendus dans le courant du premier trimestre de 2015.
Le jour viendra où les décideurs feront le point sur l’état des systèmes de santé dans de nombreux  pays africains pour comprendre comment la flambée s’est propagée et mesurer l’efficacité de la réponse internationale. Néanmoins, alors même que  l’épidémie se stabilise dans certaines régions des pays affectés, elle se propage à d’autres, particulièrement en Sierra Leone et dans une moindre mesure au Mali. « Ce n’est pas le moment de baisser la garde », a averti le Secrétaire général des Nations Unies. « Toute lacune de l’intervention permet au virus de s’étendre, de faire des victimes,  de détruire des familles et de menacer le monde entier…. Nous devons continuer à lutter contre l’incendie jusqu’à l’extinction de la dernière braise. » 



Par Masimba Tafirenyika
Magazine des Nations Unies Afrique Renouveau
 
Vendredi 26 Décembre 2014




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