EXCLUSIF/ LE RAPPORT SUR LE COMPLOT CONTRE KHADAFI ET LA LIBYE QUI A FAIT BASCULER L'AFRIQUE DE L'OUEST DANS LE TERRORISME

Toutes les études, toute l'actualité ont montré que le terrorisme occupe la première place dans le quotidien des peuples de l'Afrique de l'Ouest depuis la chute du guide Libyen Khadafi en 2011. Dakaractu avait donné le résumé du rapport produit par le député Blunt et son équipe pour le compte du Parlement Britannique. Rapport publié le mois dernier. Pour tenir notre promesse du follow up, nous vous présentons les détails de ce rapport qui démontre le funeste complot ourdi contre le guide Libyen et par ricochet les peuples de l'Afrique de l'Ouest qui sont les victimes de cette opération menée par Sarkozy et Cameron principalement avec la complaisance de Obama.


Présentation

Un Comité des affaires étrangères de la Chambre des communes du Parlement britannique, dirigé par le député conservateur Crispin Blunt, vient de produire un rapport-choc, intitulé « « Libya : Examination of intervention and collapse and the United Kingdom’s future policy options », sur l’intervention du Royaume-Uni en Libye en 2011.
Aux fins de son enquête, le Comité Blunt a rencontré des ministres du gouvernement Cameron, l’ancien premier ministre Tony Blair, d’ex-ministres, des hauts fonctionnaires, des ambassadeurs britanniques en Libye, des universitaires, des analystes et des journalistes. Il s’est aussi déplacé en Afrique du Nord pour connaître le point de vue des politiciens et des fonctionnaires libyens. Toutefois, le premier ministre Cameron a décliné l’invitation à rencontrer le comité, prétextant un « horaire trop chargé »!
Le rapport est à ce point sévère à l’égard du gouvernement de David Cameron que ce dernier a démissionné de son poste de député la veille de la publication du rapport pour ne pas avoir à répondre aux nombreuses critiques qu’il formule.

Le fil des événements

15 février 2011. Dans le cadre du printemps arabe, début des manifestations à Benghazi en Libye.

Fin février 2011. Le régime perd le contrôle d’une portion significative du pays, dont les importantes villes de Misrata et Benghazi.

Début mars 2011. Les forces pro-régime lancent une contre-offensive, qui les mène aux approches de Benghazi.

12 mars 2011. La Ligue arabe demande au Conseil de sécurité des Nations Unies d’imposer une zone d’interdiction de vol (« no-fly zone ») au-dessus de la Libye.

17 mars 2011. Le Conseil de sécurité adopte la Résolution 1973 qui autorise les pays membres de l’ONU à établir une zone d’interdiction de vol (« no-fly zone ») au-dessus de la Libye et à prendre « tous les moyens nécessaires » pour prévenir des attaques contre les populations civiles. Une coalition de pays comprenant la Belgique, le Canada, le Danemark, la France, l’Italie, la Norvège, le Qatar, l’Espagne, les Émirats arabes unis, le Royaume-Uni et les États-Unis contribue à la création d’une force spéciale chargée de la mise en application de la Résolution 1973.

19 mars 2011. Début des opérations militaires de la Coalition contre les installations militaires de la Libye.

31 mars 2011. Les opérations militaires passent sous la responsabilité de l’OTAN.

Mars-octobre 2011. La guerre civile s’étend à l’échelle du pays entre les forces pro-régime et des milices, regroupées dans le Conseil national de transition (CNT), appuyées par les avions de l’OTAN.

16 septembre 2011. L’ONU reconnaît le CNT comme l’autorité légitime du pays.

20 octobre 2011. Kadhafi est appréhendé et tué.

23 octobre 2011. Le CNT proclame la libération du pays et la fin officielle de la guerre.

31 octobre 2011. Cessation des opérations de l’OTAN.

Décembre 2011. Un gouvernement est élu : le Congrès général national (CNG). Mais il est incapable de projeter son autorité sur l’ensemble du pays.
Juin 2013. Des groupes armés s’affrontent et font un nombre significatif de victimes à Benghazi.

Novembre 2013. Le scénario se répète à Tripoli.

Juin 2014. Des élections ont lieu pour élire les membres de la Chambre des Représentants (CdesR). Le taux de participation est d’à peine 18 %. La légitimité de la CdesR est contestée. Deux gouvernements prétendent représenter l’ensemble de la population : le gouvernement de la CdesR à Tobrouk, à l’est, et celui du CNG à Tripoli, à l’ouest. Les combats entre les milices liés aux deux gouvernements se poursuivent jusqu’au début 2015.

17 décembre 2015. Sous l’égide de l’ONU, un gouvernement d’entente nationale (GEN) est mis sur pied à Tripoli.

30 mars 2016. Le GEN s’assure du contrôle de certains ministères.

Août 2016. L’Armée nationale libyenne, associée au gouvernement de la CdesR et dirigée par le commandant Khalifa Haftar, affronte une autre milice, la Garde des installations pétrolières (GIP), près du terminal pétrolier de Zueitina, qui joue un rôle clef dans l’économie libyenne. La GIP est associée à la National Oil Corporation, basée à Tripoli, et est placée sous l’autorité du GEN.

Septembre 2016. La CdesR ne reconnaît toujours pas le GEN, malgré des promesses en ce sens.

Le rapport du Comité Blunt rapporte qu’au moment du déclenchement de la rébellion, la Libye, avec sa population de 6,3 millions d’habitants, était le pays le plus avancé d’Afrique et se classait au 53e rang de l’ensemble des pays selon l’Index de développement de l’ONU. Le revenu per capita de la Libye s’élevait à 12 250 $, un montant comparable au revenu moyen dans plusieurs pays européens. L’État enregistrait un surplus budgétaire, provenant de l’exportation du pétrole, qui était investi dans un Fonds souverain évalué à 53 milliards $ en 2010.
Le colonel Kadhafi avait pris le pouvoir en 1969 à la faveur d’un coup d’État. À la fin des années 1990, la Libye avait entrepris de normaliser ses relations internationales pour faire lever les sanctions que lui avaient imposées les Nations Unies pour avoir soutenu le terrorisme à l’échelle internationale.
Après le 11 septembre, pour faire face à des menaces de groupes liés à Al-Qaïda, Kadhafi s’était rapproché des États-Unis et du Royaume-Uni. La réhabilitation de la Libye s’est poursuivie à la fin des années 2000 avec la nomination de Kadhafi à la présidence de l’Union africaine et une invitation à prononcer un discours devant l’Assemblée générale des Nations Unies.
Que s’est-il passé pour que la Libye devienne à nouveau un pays paria et justifier l’intervention de l’ONU et de l’OTAN ?

Le rôle de la France

Selon le rapport du Comité Blunt, l’initiative de l’intervention est venue de la France. Paris a accéléré le processus vers l’adoption de la Résolution 1973 de l’ONU en reconnaissant le Conseil national de transition (CNT) de la rébellion comme gouvernement légitime de la Libye, dès le mois de mars 2011.
Le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé déclarait alors : « La situation est de plus en plus alarmante, avec la reconquête violente de villes par les forces pro-régime de Kadhafi », si bien qu’« il nous reste très peu de temps, c’est peut-être une question d’heures ».
Des analyses subséquentes, soutient le Comité Blunt, laissent croire qu’on a grandement exagéré les menaces immédiates sur les civils et que la reconquête des villes par Kadhafi n’a pas eu pour conséquence les nombreuses victimes civiles appréhendées.
En fait, la décision du gouvernement français aurait été influencée par les exilés libyens en France et leurs alliés parmi l’establishment intellectuel français, qui parlaient de la possibilité d’un massacre possible à Benghazi, mais qui étaient surtout désireux de provoquer un changement de régime en Libye.
Le Comité Blunt cite un document Département d’État américain, obtenu en vertu de la loi d’accès à l’information, qui révèle les motifs de l’action française, en faisant référence à une conversation entre des responsables des services secrets français et la secrétaire d’État américaine d’alors, Hillary Clinton.
Les objectifs du président français Sarkozy étaient de cinq ordres : 1. Le souhait d’obtenir une plus grande part de la production de pétrole libyen; 2. Accroître l’influence française en Afrique du Nord; 3. Améliorer la situation politique de Sarkozy en France; 4. Permettre aux armées françaises de réaffirmer leur présence dans le monde; 5. Répondre aux projets de Kadhafi de supplanter la France en Afrique francophone.

Désinformation et non-respect de la Résolution de l’ONU

La menace de représailles sur les populations civiles était grandement exagérées, soutient le Comité Blunt. Kadhafi ne ciblait pas les civils. La question des mercenaires tchadiens aux ordres de Kadhafi a été amplifiée. Les réseaux Al-Jazeera et Al-Arabiya ont donné dans la désinformation, tout comme tous les médias occidentaux qui ont relayé les exagérations et les mises en scène des rebelles.
De plus, les médias n’ont soufflé mot de l’implication du Royaume-Uni, de la France, de la Turquie, du Qatar et des Émirats arabes unis aux côtés des rebelles. La Résolution 1973 stipulait qu’un strict embargo sur la livraison d’armes devait être mis en place. Mais la communauté internationale a fermé les yeux sur la livraison d’armes aux rebelles, principalement de la part du Qatar et Émirats arabes unis. Le Qatar a livré des missiles anti-blindés Milan français à certains groupes de rebelles.
Mais les pays de la Coalition ont surtout transformé le sens de la Résolution 1973. Celle-ci autorisait les pays membres de l’ONU à établir une zone d’interdiction de vol (« no-fly zone ») au-dessus de la Libye et à prendre « tous les moyens nécessaires » pour prévenir des attaques contre les populations civiles. Mais elle a été transformée en une intervention pour un changement de régime.
Dans un discours devant le Parlement britannique, le 21 mars 2011, David Cameron affirmait que l’objectif de l’intervention n’était pas un changement de régime. Mais, un mois plus tard, en avril 2011, il signait avec Obama et Sarkozy une lettre conjointe établissant que l’objectif poursuivi était « un avenir sans Kadhafi ».

Des négociations avortées

Le rapport du Comité Blunt précise que les Britanniques avaient prévu, dans leur plan d’action, une pause après l’intervention à Benghazi afin de permettre à la communauté internationale d’explorer des alternatives politiques.
D’une part, Kadhafi tentait de négocier avec les rebelles. D’autre part, l’ex-premier ministre Tony Blair, qui connaissait bien la Libye et avait de bonnes relations avec Kadhafi et les membres de sa famille, avait eu des conversations téléphoniques avec Kadhafi dès le mois de février. (En 2004, Tony Blair avait conclu une entente avec Kadhafi, qui comprenait un contrat de 900 millions $ entre la Libye et la pétrolière BP pour l’exploration et la production de pétrole libyen.)
Des rumeurs circulèrent selon lesquelles Kadhafi accepterait de quitter la Libye pour trouver refuge au Venezuela et Blair voyait son fils Saïf comme « le meilleur, sinon le seul candidat possible pour un changement politique en Libye ». Mais, rapporte le Comité Blunt, la négociation avec Kadhafi ne faisait pas partie de la stratégie militaire de la France.

L’après Kadhafi : le trafic d’armes

Selon le rapport du Comité Blunt, la Libye a acheté, entre 1969 et 2010, pour 30 milliards de livres sterling d’armements. Des armes sont tombées entre les mains des milices, dont le nombre de combattants a explosé après la mort de Kadhafi, passant 20 000 à 25 000 à plus de 140 000.
Des armes ont aussi fait l’objet d’un trafic en Afrique du Nord et de l’Ouest et au Moyen-Orient. Le Panel d’experts mis sur pied par l’ONU pour évaluer l’impact de la Résolution 1973 a identifié la présence d’armes provenant de la Libye en Algérie, au Tchad, en Égypte, à Gaza, au Mali, au Niger, en Tunisie et en Syrie.
Il a conclu que « les armes en provenance de la Libye ont renforcé de façon significative les capacités militaires de groupes terroristes opérant en Algérie, en Égypte, au Mali et en Tunisie. ». Certaines armes se sont retrouvées entre les mains des combattants de Boko Haram.
Kadhafi avait acquis quelque 20 000 systèmes de défense portable pouvant être maniés par une personne (Man-portable air defence systems (MANPADS)) au cours de ses 40 ans de règne. Ces missiles sol-air détectent la chaleur et peuvent être lancés vers un avion. Ils sont particulièrement menaçants pour les avions civils. Au mois de janvier 2014, les islamistes égyptiens ont utilisé un MANPAD d’origine libyenne pour abattre un hélicoptère de l’armée égyptienne dans le Sinaï.

Les migrants

Les passeurs ont profité de l’absence d’institutions nationales et de contrôle aux frontières pour faire de la contrebande de migrants à travers la Libye et la Méditerranée vers l’Italie.
En 2013, l’Italie a mis sur pied l’Opération Mare Nostrum pour contrôler ses frontières et secourir les migrants. À compter de novembre 2014, ce programme a été remplacé par l’agence Frontex de l’Union européenne dans le cadre de l’Opération Triton.
Trois millions d’euros par mois ont été alloués à l’Opération Triton, comparativement à 9 millions d’euros pour l’Opération Mare Nostrum. Selon l’International Organization for Migration (IOM), 30 fois plus de migrants ont trouvé la mort entre janvier et avril 2015 que pendant la même période en 2014, dans le cadre de l’Opération Mare Nostrum.
Selon l’IOM, il y avait un million de migrants en Libye au mois de juin 2016, dont 500 000 non Libyens. La plupart d’entre eux viennent de l’Afrique de l’Ouest, de la Corne de l’Afrique, de l’Asie du sud et du Moyen-Orient.

L’État islamique en Libye

L’ampleur de l’implication d’éléments islamistes dans la rébellion a été sous-estimé, selon le rapport Blunt, alors que les liaisons libyennes avec les groupes de combattants transnationaux étaient connues parce que plusieurs Libyens ont participé à l’insurrection en Irak et en Afghanistan avec Al-Qaïda. Le rapport conclut qu’il est évident que les milices islamistes ont joué un rôle clef dans la rébellion dès février 2011.
Au mois de septembre 2012, les islamistes ont attaqué l’ambassade américaine à Benghazi et tué l’ambassadeur américain. De son côté, l’ambassadeur britannique a survécu à une tentative d’assassinat.
Dès la fin de 2014, l’État islamique a profité de la quasi-absence d’autorité gouvernementale pour s’emparer de territoires près des villes de Sabratha, Derna et Syrte avec de 3 000 à 6 000 combattants dont plusieurs ne sont pas libyens. Aujourd’hui, l’État islamique encouragerait ses partisans à se rendre en Libye plutôt qu’en Syrie ou en Irak.
L’État islamique se sert de la Libye comme base d’entraînement. Les terroristes qui ont tué 22 touristes au musée du Bardo, à Tunis, provenaient de Libye.

La situation actuelle

En 2014, dernière année où des statistiques sont disponibles, le revenu annuel per capita a chuté à 7 820,28 $. Le surplus budgétaire s’est transformé en un déficit atteignant 60 % du produit intérieur brut. Les réserves étrangères du pays ont fondu de moitié, passant de 107 milliards $ en 2013 à 56,8 milliards $ en 2015. Le taux d’inflation atteint 9,2 %, dont 13,7 % pour les aliments. De sa 53e place, le pays a dégringolé au 94e rang selon l’Index de développement des Nations unies.
Près de 400 000 personnes sur une population totale de 6,3 millions d’habitants ont été déplacées. La Libye est devenue une route clef pour le transit de l’immigration illégale vers l’Europe. L’État islamique a pris le contrôle du territoire entourant la ville de Syrte.
Depuis les élections générales de 2014, la Libye est gouvernée par deux administrations en concurrence entre elles : le Congrès général national (CNG) basé à Tripoli à l’ouest et la Chambre des Représentants (CdesR) basée à Tobrouk dans l’est. Quand la CdesR a été éjectée de Tripoli en 2014, elle a perdu le contrôle d’institutions étatiques clefs, comme la National Oil Corporation. Elle a répliqué en créant des institutions parallèles dans l’est. Cela a laissé la Libye avec deux compagnies pétrolières, ce qui a réduit les exportations de pétrole, la croissance économique et les revenus.
Les milices associées aux deux administrations se sont livrées bataille de façon intermittente à travers la Libye depuis l’été 2014.
Sous l’égide de l’ONU, un gouvernement d’entente nationale (GEN) est mis sur pied à Tripoli pour réconcilier les parties en conflit. Mais, en septembre 2016, au moment de la rédaction du rapport Blunt, la CdesR n’avait toujours pas ratifié l’entente et ses milices affrontent celles du GEN. Malgré cela, l’ONU a tout de même reconnu le GEN comme étant le seul gouvernement légitime de Libye
Mardi 18 Octobre 2016




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