Dieu, Monothéisme et Histoire (Partie 2) Par Dr Ndiakhat NGOM*


Dieu, Monothéisme et Histoire (Partie 2) Par Dr Ndiakhat NGOM*
Pour le Christianisme, la fidélité ou non de l’Eglise aux Ecritures a été une des phases culminantes de son histoire avec le schisme des protestants au XVIe siècle. C’est Saint-François d’Assise, avec « l’ordre des pauvres », qui annonce la révolte, au Moyen-âge, contre les dérives de certaines autorités de l’Eglise, avant que le XVIe siècle ne sonne le début du schisme. Luther et Calvin sont les figures les plus marquantes du protestantisme, avec leur fameux slogan « sola scriptura » (fidélité aux Ecritures), alors que les chrétiens restent fidèles à l’Eglise. D’autres groupes se sont ensuite greffés à ces deux religions, comme les baptistes, les chrétiens orthodoxes (qui ne reconnaissent pas l’autorité du pape et célèbrent Noël le 6 janvier), entre autres.

Quant à l’Islam, les difficultés annonciatrices d’un schisme, même de moindre ampleur (par rapport à celui du christianisme) sont nées du problème de succession de Mohammed (PsL). Elles étaient déjà latentes de son vivant, par les rivalités tribales, pour ne pas dire politiques, entre ses partisans de la Mecque (les Muhajiruns) et ceux de Médine (les Ançars). Mais elles ne sont rien par rapport aux batailles de succession après sa disparition, et qui amènent certains historiens politiques à parler de l’émergence d’un « islam politique ». Excepté Abu Bakr dont le mandat n’a souffert d’aucune contestation (sinon, Ali), et mort naturellement, les trois autres, Omar, Uthman Ibn Affan (époux de Roquïa) et Ali (fils de Abu Talib, l’oncle du Prophète, et époux Fatima), ont été tous assassinés. Par la suite, des groupes politico-religieux se réclamant des premiers compagnons de Mohammed (PsL) sont nés, avec de légères nuances quant aux pratiques.



Le Christianisme et l’Islam ont aujourd’hui des rapports différenciés avec certains aspects de la modernité, et ceci est lié essentiellement à leur différence de parcours. Par sa trajectoire historique, la pensée occidentale est fortement moulée par la tradition judéo-chrétienne qui explique l’accoutumance par celle-ci de questions souvent gênantes (certains diront irrévérencieuses) sur ces fondements ultimes. Après plusieurs siècles d’apologie chrétienne, l’Ancien et le Nouveau Testament se sont progressivement habitués à cohabiter avec une nouvelle discipline, l’exégèse critique (avec l’oratorien R. Simon, l’Allemand H.S. Reimarus ou l’historien français E. Renan) vers la 1ère moitié du XVIIe siècle. II y a aussi la philosophie, avec Spinoza, Voltaire, sans oublier le plus corrosif d’entre eux : Nietzsche. N’oublions pas les indiscrètes lumières de la science avec notamment la théorie de l’évolution sur laquelle, l’Eglise, longtemps réfractaire, a reconnu, avec Jean Paul II, sa « plausibilité » et toute « l’attention qu’elle méritait », en réhabilitant Galilée du même coup (1992). Cette tradition « critique » explique l’aisance avec laquelle le Christianisme peut parler, aujourd’hui, des questions des droits humains, alors que l’Islam ne voit derrière cette expression rien de moins que « l’œuvre de francs-maçons ».



A force de se familiariser avec les textes critiques et de rendre souvent compte courageusement par des Encycliques (parmi les plus célèbres, celles de Léon XIII, de Pie XII ou de Jean Paul II), le Christianisme, tel l’organisme vivant face au virus, a pu sécréter des anticorps qui l’ont immunisé, en quelque sorte, des effets (philosophie, science, voire athéisme et agnosticisme) de son encombrant hôte (l'esprit critique). II est devenu plus fort et a pu se concilier avec la liberté de conscience et d’expression très chère à la modernité. Curieusement, les églises se vident en Occident au profit de l’attractif sourire du bouddhisme ou de l’agnosticisme (à différencier de l’athéisme). On évoque le retour du naturalisme, de l’archaïque (sectes, orientalisme, astrologie, etc.) pour expliquer le retrait des croyances instituées pour ces spiritualités dites « sauvages ». La « mort de Dieu » de Nietzsche, annonçant l’époque postmoderne, plus les deux guerres, très meurtrières, et leur effet moral désastreux (agnosticisme, « athéisme de protestation ») n’y sont pas étrangers. Ce phénomène accentué par une poussée démographique très faible amène certains spécialistes à pointer le tiers-monde (Afrique et Amérique du sud) comme son probable avenir, au point de prédire l’avènement d’un pape noir.



Comme le christianisme, l’Islam a aussi essuyé des critiques et des railleries de sa confrontation avec l’Occident. Outre le débat récurrent mais pacifique sur la continuité ou non entre les deux religions par l’emploi du mot grec « paracletos », traduit par « Ahmad » par les musulmans (Coran 61:6), par « Consolateur » ou « Esprit saint » par les chrétiens (Jean 14 :16, 15 :26, 16 :7), les musulmans ont toujours perçu les lectures ou critiques des libres-penseurs et exégètes occidentaux à l’endroit de l’Islam et de son histoire, comme « agression », pour ne pas dire « complot des impies » contre eux. De façon générale, que la pensée occidentale puisse s’intéresser à sa matrice (ses origines judéo-chrétiennes) pour formuler contre elle des questions ne semble émouvoir outre mesure les musulmans. Seulement, les choses prennent une autre tournure lorsqu’ils soupçonnent ce regard « inquisiteur » venu du « pays des impies » de cacher ses réelles motivations ; celles de briser les ailes d’une « rivale ».



Dans l’orthodoxie chrétienne, il n’était pas rare d’entendre que, par rapport à Jésus, « Mohammed n’aurait pas réalisé des miracles et serait issu d’une religion de la violence ». C’est ainsi que certains ont rangé, il y a 5 ans, la méprise faite sur le discours du pape Benoît XVI, à l’université de Ratisbonne, lorsqu’il relatait un dialogue, qui date du XIVe siècle, et dont l’un des protagonistes critiquait « le mandat de diffuser par l’épée la foi qu’il [Mohammed] prêchait ». Bien qu’étant plus conservateur que Jean Paul II, Benoît XVI, très érudit, comme tous les papes, ne songeait nullement à insulter l’Islam, en abordant la question (peu académique, disons-le) entre raison et foi. Finalement, cet incident est symptomatique de la tension qui se dessine et marque les limites de l’inter religiosité lorsque le regard ou le discours de l’autre est perçu irrémédiablement comme volonté de nuire.



Aussi, la Ummah doit penser aujourd’hui, à ses contradictions internes, mais aussi externes, dans ce 3e millénaire plein d’incertitudes et de défis pour elle.



Le point interne concerne la question angoissante de l’unité de l’Islam. Trois des quatre califs qui ont succédé au Prophète (PsL) ont été assassinés ; c’est le début de guerres civiles meurtrières qui ont provoqué l’avènement d’un « islam politique ». Aïcha (reprochant à Ali de n’avoir pas vengé Uthman) prit les armes contre lui à la « bataille du chameau » à Bassora (656-61) qui fit près 15000 morts. Ali mène une bataille épique contre Muhawiya, à Siffin (70000 morts). Le fils de ce dernier (Yezid) a eu raison d’Hussein (un des jumeaux d’Ali) lors de la fameuse bataille de Karbala. C’est l’ère des schismes de l’Islam (dont nous vivons encore les effets désastreux) avec plus de 16 groupes qui s’en réclament tous. Nous pouvons citer, entre autres, le sunnisme (Afrique du Nord, de l’Ouest, Turquie, Arabie saoudite, Soudan), le chiisme (Iran, Irak, Syrie, Yémen), le khâridjisme (Oman, Algérie, Afrique orientale), certaines confréries en Afrique noire (le mouridisme, la tidiania, la khadria), et les Alevis (Grèce, Turquie).



Si le Livre (Bible, Coran) est universel, son actualisation historique a donné lieu à des d’interprétation hétérogènes avec des discours et pratiques légèrement différenciés qui épousent les courants au sein du monothéisme. Aussi, est-il étonnant de voir les Alevis prôner une certaine libéralité pour ce qui est de la lecture et de l’application des préceptes du Coran ? Les multiples célébrations de l’Aïd al Fîtr et l’Aïd al Adha (dans un pays comme le Sénégal) peuvent-t-elles surprendre, si l’on songe à la mixité de l’Islam « originel » avec la culture locale et qui enfante un syncrétisme appelé prosaïquement « islam noir » ? Au fond, les événements récents au Mali, avec la destruction de tombeaux de Saints (objet de culte), ne sont rien d’autre que la confrontation de lectures culturelles antinomiques du Coran et des pratiques islamiques. C’est oublier que les religions du Livre bien qu’ayant une vocation universelle investissent d’abord le cadre local dans lequel évoluent les nouveaux adeptes ou convertis. Cette recherche de la pureté d’Ansar Dine est dangereuse, car elle est une forme de totalitarisme religieux, et est très néfaste pour l’essor d’une religion. Elle desserve lourdement l’Islam en ce sens que la vieille rengaine de « l’islam rétrograde » revient, au grand bonheur de ses détracteurs. C’est oublier qu’« une religion pure ou authentique n’existe pas ». Ce qui existe, c’est la façon plus ou moins parfaite avec laquelle les fidèles (appartenant à des traditions culturelles différentes) s’approprient le message divin. Ce purisme religieux est une illusion dont il faut se départir.



Le second point problématique pour la Ummah au XXIe siècle touche à ses contradictions externes. L’Islam moderne donne l’impression d’une fragilité pour ne pas dire frilosité devant les « provocations de l’Occident ». De la crispation chez les musulmans suscitée par les discours au nom de la « liberté d’expression » (le christianisme semble avoir réglé cette question), suivent des manifestations souvent violentes et regrettables qui ne traduisent pas forcément le meilleur de l’Islam. Or cette religion est dans une dynamique qui doit la mettre à l’abri des ripostes inappropriées. Tel un « effet papillon », il suffit juste qu’en Occident, de jeunes plaisantins, sur le net, ou des membres de l’extrême-droite – assez provocateurs, en sachant par avance tout le bénéfice médiatique à récolter – caricaturent ou se gaussent sur un aspect de son histoire (songez ici aux épisodes au Danemark ou l’incident avec « Charlie Hebdo ») pour que de violents tremblements de terre se produisent de l’autre côté de la Méditerranée.



La réaction est souvent disproportionnée et maladroite. Elle montre au grand jour toute la fragilité de l’Islam. Paradoxalement, par son histoire, cette religion dispose de brillants intellectuels et d’éminents spécialistes de la pensée ainsi que de la technologie modernes pour se doter de structures académiques qui seraient en quelque sorte sa voix autorisée. Sans verser dans un passéisme maladif qui ferait passer l’Islam comme incapable de se déployer dans la modernité, cette religion a quelque chose à gagner en s’inspirant de son passé. Comme l’a brillamment réussi le Christianisme d’ailleurs. Les pères de l’Eglise et toute la pensée scholastique ont été profondément marqués par la pensée d’Aristote, que, paradoxalement, des penseurs arabes ont aidé à redécouvrir. Au Moyen-âge, par exemple, St Anselme et St Thomas ont proposé des envolées philosophiques de haute facture sur les rapports entre foi et raison ; ce que Benoit XVI rappelle d’une façon plus subtile à Ratisbonne. Ce discours sur la démonstrabilité de l’existence de Dieu (preuve ontologique, téléologique, etc.) sera étudié par les philosophes rationalistes, pour la valider (Descartes) ou la réfuter (Kant). Mais les jalons de la discursivité étaient posés. Ce n’est pas rien.



Curieusement, une version de cette théologie spéculative chrétienne existe bel et bien en Islam, mais reste méconnue. C’est la fameuse « falsafa » ou philosophie musulmane sur laquelle réfléchit depuis quelques années, aux Etats-Unis, mon ami, le Pr Souleymane Bachir Diagne. De façon plus générale, le « kalâm » étudie les fondements conceptuels de la religion musulmane, par le raisonnement appliqué aux textes scripturaires. Au moment où Boukhari, au IXe siècle, tentait de démêler le casse-tête des hadiths, des courants discursifs mémorables se développaient à l’intérieur de l’Islam, tels le mutazilisme, l’acharisme, le hanbalisme, ou le maturidisme. Ces écoles interrogent courageusement des concepts islamiques, comme le libre-arbitre, la prédestination, l’Unicité de Dieu et ses attributs, voire même les canons du Coran. Même si le progressisme remarquable du mutazilisme se heurte aux réticences des trois autres écoles, il n’empêche que la confrontation de pensée existe et est à encourager. Elle est fondamentale, voire vitale pour l’Islam aujourd’hui. Dans sa tradition profonde, cette religion n’est pas réfractaire à l’exégèse critique, au débat moderne, scientifique ou philosophique. Elle est loin de l’image écornée d’une religion violente et refusant de dépasser le cadre étroit du VIIe siècle. Disons-le clairement, les éléments discursifs proposés par Avicenne, Averroès, Al Achari, et Ibn Handbal, sur le progressisme en Islam, sont éminemment modernes, en ce qu’ils permettent de repenser positivement, par exemple, la lancinante question des droits humains.



II existe en effet une antinomie profonde entre une lecture du Coran (prédestination, idée de Dieu comme moteur de l’Histoire) et les idéaux des droits humains (les hommes comme maîtres de leur destin). Ce qui explique que des pays comme l’Arabie saoudite, par exemple, refuse de signer la « Déclaration universelle des droits de l’homme » de 1948. Contrairement à une idée répandue, ce n’est point un problème structurel, mais conjoncturel, car des pays arabes longtemps réfractaires ont fini par faire des concessions démocratiques. Le Qatar a accordé le droit de vote aux femmes en 1999, les choses bougent en Tunisie et en Egypte. N’oublions pas qu’en 1789, ni les Noirs, ni les juifs ni les femmes n’étaient concernés par la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » (qui n’est pas forcément une affaire de « loge maçonnique »). Les choses ont évolué : « Les utopies d’hier sont les vérités d’aujourd’hui », a écrit Jean Rostand, à propos du progressisme de la science. Cela n’est-il pas aussi valable en matière historique ou religieuse ? Toute la question est là.



L’Islam a un problème avec l’Occident, mais il n’en a pas toujours été ainsi. C’est un premier paradoxe. II n’a pas de problème ni avec le Christianisme, ni avec le Judaïsme, mais un contentieux politique lié au conflit au Moyen-Orient. C’est un autre paradoxe. En revisitant son histoire, il produira certainement des moyens conceptuels majeurs afin de se faire entendre comme un acteur dynamique producteur d’intelligence et de valeurs. (Fin)





Le Dr Ndiakhat NGOM, universitaire, a servi à l’Unesco (aux côtés de Pierre Sané) et a été chargé de programme à Amnesty International (France). Email : ngom11@live.fr




Bibliographie :

Bucaille, Maurice, La Bible, le Coran et la science, Paris, Seghers, 1976.

Chebel, Malek, Manifeste pour un islam des Lumières, Paris, Hachettes, 2004.

Corbin, Henry, L’histoire de la philosophie islamique, Paris, Folio, 1989.

Djebar, Assia, Loin de Médine, Paris, Albin Michel, 1991.

Gérard Mordillat, Gérôme Prieur, Jésus contre Jésus, Paris, Seuil, 1999.

Mernissi, Fatima, Le harem politique : le prophète et les femmes, Paris, Albin Michel, 1987.

Mernissi, Fatima, Sultanes oubliées, Femmes chefs d’Etat en islam, Paris, Albin Michel, 1993.

Tabari, La chronique de Tabari, Paris, Actes sud, 2001.
Jeudi 16 Août 2012




1.Posté par rakhass le 16/08/2012 12:08
Deug deug amna niou diangue c'est cela un article scientifique qui sert à eclairer et non à endormir les populations

2.Posté par Un Profane le 16/08/2012 12:15
Salam alaykoum,

QUESTIONS :
=========

1) "Mernissi, Fatima, Sultanes oubliées, Femmes chefs d’Etat en islam, Paris, Albin Michel, 1993. "
Quel rapport et ou quel intérêt de cet ouvrage avec le titre de votre communication ?


2) "C’est l’ère des schismes de l’Islam (dont nous vivons encore les effets désastreux) avec plus de 16 groupes qui s’en réclament tous. Nous pouvons citer, entre autres, le sunnisme (Afrique du Nord, de l’Ouest, Turquie, Arabie saoudite, Soudan), le chiisme (Iran, Irak, Syrie, Yémen), le khâridjisme (Oman, Algérie, Afrique orientale), certaines confréries en Afrique noire (le mouridisme, la tidiania, la khadria), et les Alevis (Grèce, Turquie). "

En substance, selon vous, les confréries au Sénégal (mouridisme, la tidiania, la khadria) ne seraient pas sunnites ?

wa salam alaykoum wa rahmatoullah.



3.Posté par Jeanne le 16/08/2012 14:39
Les mécanismes assurant la physiologie de l’érection masculine sont plus fragiles qu’on pourrait le penser à première vue. Nouveaux exemples: l’apnée du sommeil et l’approche de la période de l’ovulation de la femme peuvent les perturber. Mais ça se soigne.

SI VOUS Y SOUFREZ CLIQUEZ ICI

4.Posté par Lat Soucabé MBOW le 17/08/2012 14:13
Il convient d’abord de rectifier l’erreur consistant à établir un rapport de causalité exclusif entre le fait schismatique dans l’islam et les luttes de succession au califat. Si cela est vrai pour la naissance du chiisme au lendemain de la mort du calife Ali, il en va différemment pour beaucoup d’autres « voies » apparues au cours de l’évolution dans la religion véhiculée par le Prophète Muhammad (SAW). Le remarquable ouvrage de l’orientaliste français Henri Laoust sur « Les schismes dans l’islam » (Paris, Payot, 1977, 500 p) en fait une recension très exhaustive.

C’est un truisme de faire remarquer que l’islam, né il y a 1433 ans, inquiète aujourd’hui les croyances pré-existantes autant sinon plus qu’à ses débuts. Il dérange même dans certains pays d’accueil où l’on pense que le moyen le plus efficace pour freiner son expansion à travers le monde consiste à cultiver l’intolérance vis-à-vis des musulmans, à tourner en dérision leur prophète, à banaliser leur culte quitte à se couvrir de ridicule en préconisant la suppression des minarets du paysage des villes. Bien sûr cette stigmatisation n’est pas sans lien avec le radicalisme de l’internationale jihadiste. Mais dans leur grande majorité, les musulmans ne s’identifient pas à cette forme de lutte faisant de la violence son mode d’expression politique privilégié. Au contraire, ils demeurent fidèles aux enseignements contenus dans le Coran et les hadiths sur les relations à entretenir avec les autres religions révélées : reconnaissance de l’authenticité de la mission des prophètes annoncés dans la Bible, l’exclusion de la contrainte en matière de foi religieuse, notamment à l’endroit de ceux qui croient en un Livre, l’assistance mutuelle dans la vie de la cité. Cette morale et cet humanisme ont reçu leur consécration sous forme institutionnalisée dans la Médine au début de l’Hégire, ville réputée pour le cosmopolitisme favorisé par le commerce caravanier et pour la tolérance de l’Etat islamique naissant. Ces valeurs ont été réactualisées loin de la péninsule arabique, dans l’Andalousie sous domination morisque entre le VIII° et le XIII° siècle. C’est à ce défi de l’inter-religiosité et du dialogue des civilisations que le XXI° siècle est confronté.

Dans le texte ci-dessus, l’occurrence non négligeable de concepts tels que modernité, post-modernité, progressisme ainsi que certaines périphrases y relatives peuvent être interprétées comme des critiques implicitement adressées à l’islam qui serait incapable de se remettre en question quasiment depuis la fin de la période abbasside. En contrepoint, le christianisme est présenté comme plus réceptif aux débats de société, et, comme un espace déverrouillé où la réflexion sur la doctrine et les idées « philosophiques » trouve libre cours et introduit plus d’intelligibilité dans le décryptage du message de Dieu à l’humanité. Ce comparatisme est discutable au moins d’un double point de vue.

D’abord la religion est une chose, et, la philosophie de (sur) la religion en est une autre. C’est à l’identique le rapport de l’histoire et de la philosophie de l’histoire. La première rapporte les événements passés tandis que la seconde est une sorte de bilan prospectif du passé. Un fidèle musulman, chrétien ou juif qui veut vivre sa foi dans une démarche de stricte vérité spirituelle doit en bonne logique se référer avant tout aux textes fondamentaux faisant autorité dans sa religion. Sa position sur certaines questions comme la prédestination, le libre arbitre, l’avortement…relève de l’opinion personnelle et de la responsabilité individuelle sans lesquelles nul ne peut être considéré comme responsable de ses actes de foi ou de raison. Donc si la parole de Dieu révélée par le Coran avait été comprise une fois pour toutes et de façon uniforme par les peuples de la Ummah, il n’y aurait pas eu l’émergence dans le monde musulman d’un si grand nombre d’écoles juridiques, de docteurs de la foi, de mystiques et de confréries qui correspondent à autant d’institutions issues toutes d’expériences reflétant un approfondissement de la connaissance scripturaire de la religion, ainsi que les nuances introduites dans celle-ci par les influences géo-culturelles.
Secondo, un projet philosophique axé sur l’étude des questions relevant de la foi religieuse risque fort d’être entraîné dans le sillage de la métaphysique. Or on sait que la philosophie s’est détachée de cette forme de connaissance depuis la période pré-socratique à cause des impasses aporétiques résultant des incompatibilités méthodologiques entre la raison et la foi présentée par un grand esprit comme Kierkegaard comme « un saut dans l’irrationnel ». Dans tous les monothéismes, il existe des mystères (pêché originel, immaculée conception, résurrection, trinité, ascension) ou des paradoxes par rapport aux réalités du monde sensible (miraj) que le raisonnement de type discursif ne peut ni épuiser ni résoudre. On y croit ou on n’y croit pas

Sur ces questions, il faut faire un pari optimiste ou à défaut avoir la sagesse du théologien et philosophe Pascal chez qui ce qui est l’objet de la foi ne saurait être celui de sa raison.





Dans la même rubrique :

AIDA CHERIE - 22/05/2015