Dakar et le vaste patrimoine immobilier de l’ex-AOF: À qui profitent ces immeubles vacants et… en ruines ?

Plusieurs immeubles et villas appartenant à des colons ou coopérants français bradés ou squattés de manière frauduleuse…

Jusqu’aux années 1958, Dakar était la capitale de l’Afrique Occidentale Française (Aof). Une capitale à la fois politique, administrative et économique. D’où la présence de nombreux hommes d’affaires et autres coopérants français à Dakar. Ces hôtes français qui vivaient parmi nous, s’activaient dans l’éducation, l’industrie, le négoce, le commerce etc. Dans cette belle capitale dakaroise à la « Martiniquaise », il faisait si bon vivre ! À preuve, de nombreux coopérants et hommes d’affaires français avaient fini par s’y installer en construisant ou en acquérant plusieurs immeubles et villas situés en plein centre-ville. Après l’indépendance, ils se sont progressivement retirés des affaires pour rentrer définitivement en France. La plupart d’entre eux, à défaut de les vendre, avaient confié leurs biens en location aux rares agences immobilières de l’époque : Hortalla, Régie Mugnier, Indépendance Immobilière etc. Si certains ont continué à percevoir leur loyer à partir de la Métropole par le biais d’avocats ou de procurataires restés en Afrique, d’autres, l’âge faisant son œuvre, ne sont plus de ce monde. Toujours est-il que la plupart de ces anciens propriétaires sont portés disparus ! Presque 50 ans après, plusieurs immeubles repérés et localisés à Dakar sont devenus vacants voire « mourants » sans maître. Une enquête exclusive et révélatrice du « Témoin »…


Dakar et le vaste patrimoine immobilier de l’ex-AOF: À qui profitent ces immeubles vacants et… en ruines ?
Située en plein centre-ville de Dakar, la commune d’arrondissement de Dakar Plateau (à l’époque on disait juste le Pateau) était le cœur des affaires politiques, économiques, administratives et commerciales de l’ancienne capitale de l’Afrique Occidentale Française (Aof). Avant et après l’indépendance du Sénégal en 1960, ils étaient nombreux les industriels et hommes d’affaires français à s’activer dans l’industrie et les comptoirs du négoce aux multiples enseignes qui nous rappellent le Dakar des années Aof : Nosoco, Peyrissac, Seven-Up, Printania, Vevi, Sotiba, Petersen, Bernabé, Martin & Frères, Chavanel, Bata, Singer, Wehbé, Comptoir Franco-Suisse, Soda-Afrique, Maurel & Prom, Etaperu, Jean Lefebvre, Sofra Tp, Manutention Africaine, Vezia, Vasquez Espinoza, Cfao etc. En implantant ces entreprises et comptoirs commerciaux, ces investisseurs français ou étrangers étaient en majorité des propriétaires d’immeubles et boutiques construits ou achetés en plein centre-ville de Dakar.  Et précisément au cœur des quartiers traditionnels de Sandial, Lambinasse, Mboth, Diecko, Thieudeme, Niayes-Thioker, Rebeuss et Yakh Dieuf.  Le Plateau de Dakar, qui était aussi l’ex-centre de l’Aof, avait aussi sa zone périphérique ou sa « petite banlieue »  constituée de quartiers résidentiels comme Fann Résidence ou le Point E et où vivaient les coopérants français qui dispensaient des cours à l’université de Dakar et autres instituts afin d’encadrer les futurs cadres de notre jeune nation. D’autres « toubabs » des classes moyennes s’étaient installés dans des quartiers comme Hock Sans fil, le Cap Manuel, Château d’Eau, la Gare ferroviaire, la Cité Port, Bel-Air, Mermoz, Ouakam etc. tournant ainsi le dos à la vieille ville.
Plus de 50 ans après les indépendances, la plupart des Français ou  Européens propriétaires immobiliers ou fonciers à Dakar ont définitivement quitté le pays en abandonnant leurs immeubles ou villas. Parmi ceux qui avaient pris la précaution de les confier à des agences immobilières de la place, beaucoup n’ont plus donné signe de vie des décennies plus tard  ! Il est raisonnable de penser qu’ils ne sont plus de ce monde puisqu’on nous révèle qu’il existe des bâtisses à Dakar dont les propriétaires légitimes n’ont  plus fait signe de vie depuis les années 70 ! « J’ai vu des locataires qui vivent depuis 30 ans dans deux immeubles situés entre les rues Jules Ferry et Raffenel. Ces bâtisses appartiennent à des « toubabs » comme l’attestent les anciennes factures d’électricité. Seulement, les locataires n’ont jamais vu ces « toubabs » propriétaires puisqu’ils paient leur loyer auprès d’une agence immobilière dont je préfère garder le nom » nous confie Th. D. un célèbre courtier de Dakar. Propriétaire porté disparu ? Cela se comprend puisque l’Européen vit en général dans la discrétion et la solitude. Et il meurt également dans la solitude c’est-à-dire sans femme, ni enfant héritier. Ce qui  fait le bonheur de beaucoup d'agences immobilières qui ne se sont pas encombrées de procédure judiciaire pour le contrôle définitif d’immeubles vacants ou « mourants » sans maître afin de toucher les loyers pour l’éternité !
À part les autres bâtisses comme la gare ferroviaire, le marché Kermel etc. classées par l'Etat du Sénégal comme patrimoine historique, la plupart des immeubles sont gérés par des agents immobiliers qui « oublient » de déclarer que les propriétaires ne se manifestent plus depuis des dizaines d’années. D’autres ont été squattés par d’anciens locataires qui ont fini par se les approprier puisque personne n’en revendique plus la propriété. « Parce qu’ils n’ont plus revu leurs propriétaires ou bailleurs depuis plus de 50 ans ! De père en fils, ces locataires se sont autoproclamés propriétaires de ces immeubles qu’ils squattent en fait » nous explique ce célèbre commerçant sénégalais d’origine libanaise. «  Regardez cet immeuble ! Il appartient à un Français ayant quitté le Sénégal depuis 1975. Il n’est plus revenu ! » nous indique-t-on. 
 
Et cet immeuble de l’avenue Lamine Guèye !
 
En poussant nos investigations, « Le Témoin » a réussi à identifier le propriétaire légitime d’un immeuble situé sur l’avenue Lamine Guèye à Dakar. Il s’agit d’un bloc constitué de plusieurs appartements et dont le propriétaire n’est autre que la société « Martin & Frères ». Ce sont deux commerçants français qui vivaient à Dakar jusqu’aux années 65. Sous le poids de l’âge, ils sont retournés en France ! Depuis lors, ils ne sont plus revenus au Sénégal ! Ce qui est scandaleux dans cet immeuble « mourant » sans maître, c’est que deux cadres des Impôts et Domaines se sont arrangés pour brader la bâtisse à un commerçant « baol-baol » dont « Le Témoin » préfère taire le nom. La procédure sur la législation des biens vacants sans maître a-t-elle été respectée ? Qui a ordonné la vente ? Un célèbre avocat  à la Cour qui s’était battu en vain pour le contrôle de cet immeuble incriminé, s’en offusque ! « Dans la plus grande discrétion, je me suis battu pour récupérer cet immeuble afin de le faire basculer dans le patrimoine de la collectivité léboue. Ou alors  pour qu’il soit cédé au patrimoine de la commune de Dakar ! Malheureusement, on m’a tordu le bras pour que je laisse tomber ! Plus grave, je viens d’apprendre que deux cadres des Impôts et Domaines ont été impliqués dans la vente de cet immeuble au profit d’un commerçant de Sandaga » nous révèle notre avocat. Et la robe noire de nous promettre : «  Je compte mettre à la disposition du journal « Le Témoin » toutes les procédures renfermant les documents et titres fonciers de cet immeuble de l’avenue Lamine Guèye. Ce sera un vrai scandale foncier ! » dit-il avec un sentiment de colère. Colère de voir cette bâtisse échapper au contrôle de l’Etat du Sénégal comme d’autres immeubles vacants dont les agences immobilières de la place  refusent de reconnaître leur statut de vacation. « Pour brouiller les pistes, certains gérants d’agences immobilières font croire aux locataires que leurs propriétaires sont toujours vivants en Europe alors qu’ils sont décédés depuis longtemps. Pour mieux ferrer et sommer les locataires afin qu’ils soldent leurs arriérés de loyers, les agents leur font savoir que le « fils » du bailleur  vient juste d’appeler pour le versement des fonds alors qu’il n’en est rien ! » explique notre source, histoire de mettre à nu tout un mécanisme frauduleux.
Par ailleurs, on nous révèle qu’à Saint-Louis, des membres d’une famille sénégalaise qui squattaient une très grande villa d’un « toubab » décédé en France depuis 1976 ont réussi à transformer les locaux en dancing. D’où une procédure d’expulsion initiée par un avocat aux fins de léguer la villa vacante à la commune de Saint-Louis. « Effectivement, le dossier est en cours… Et le moment venu, je vous en dirai plus ! » nous confirme en substance cet avocat avant de s’éclipser tout en déclarant l’affaire… sensible. À Saly Portudal comme à Toubab-Dialaw, on nous signale que prostituées, domestiques, clercs, guides touristiques et notables de village s’entretuent pour le contrôle de certaines résidences hôtelières ou villas de campagne dont les propriétaires « toubabs » n’ont plus fait signe de vie depuis plusieurs années.
Dans tous les Etats de droit, les biens vacants sont   transférés vers les institutions de l'Etat (Présidence, ministères, Education nationale, mairies etc.). Lesquelles les mettent à la disposition de leur personnel afin de les mettre à l’abri de toute spéculation. Et comme l’Etat du Sénégal semble être moins regardant sur les biens vacants sans maître,  presque ou aucun bien de ce genre  n'a échappé aux velléités d'accaparement. Pire, d’autres sites censés représenter un pan de l'histoire de Dakar ont fait l'objet de détournement au profit des particuliers. Souhaitons que le président de la République, M. Macky Sall, et  l’intraitable maire de Dakar, M. Khalifa Sall,  vont convoquer les assises des biens vacants afin de chasser ces drôles de propriétaires autoproclamés et autres squatteurs éternels…
Pape NDIAYE
ARTICLE PARU DANS « LE TEMOIN » N°1153 - HEBDOMADAIRE SENEGALAIS / FEVRIER  2014
 
 
 
Lundi 17 Février 2014




1.Posté par Jaa Jef le 17/02/2014 16:09
Article très intéressant, qui révélera beaucoup de choses surement de ces bâtisses qui datent plus de 100 ans et qu'on ne voit plus leurs propriétaires depuis belle lurettes! Merci Pape!

2.Posté par jeditout le 17/02/2014 18:17
Après mes félicitations pr cet article qui révèle tout un pan de ce secteur du bâti au sénégal qui n'est pas suivi et qui échappe totalement aux autorités sauf à certaines d'entre elles qui savent comment en profiter ,que dire ? Que ce n'est pas si diable que ça que de faire un audit de tout le foncier bâti et d'identifier les propriétaires en remontant aux sources tant avec les notaires que les agences immobilières que le cadastre ! Voila des immeubles voir des villas qui sont dans les livres des agences éternellement alors que l'état pourrait se les approprier dans son patrimoine et délaisser les locations et même les indemnités !il n'y a pas de petits sous ,un sou est un sou et peut être que les résultats d'une telle enquête pourrait nous étonner !Qui ce sont les propriétaires de ces biens mal légués !!!!!!!!??????????
MERCI!!!



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