Contribution : Pour un dialogue authentique au nom de notre pays.


Le jeudi 09 novembre 2017, lors de l’allocution solennelle du grand Magal de Touba, le khalife général des mourides a exhorté toute la classe politique à un dialogue pour l'intérêt du pays et des populations. En des termes forts, le guide religieux, par la voix de son porte parole déclare : « A ceux qui s’activent dans le champ politique, je voudrais vous exhorter à éviter de tenir un discours ou de poser des actes susceptibles de semer la confusion…En outre , si vous partagez le même objectif, à savoir servir le peuple et œuvrer pour son développement, vous devriez être en mesure de vous réunir autour d’une même table pour le seul intérêt de la nation… par conséquent, j’encourage les gouvernants à appeler au dialogue et l’opposition à répondre favorablement à cet appel… ».
Cette invite lancée par une personnalité religieuse de notre pays, a été entendue chez les foyers et les communautés religieuses, de même qu’auprès de citoyens ayant le sens de la justice et de la paix.
L’appel est d’autant plus pressant que notre pays, pour le rappeler, est dans une zone géographique instable où règnent l'insécurité et beaucoup de troubles sociaux.
Parallèlement à cette exhortation émanant d’une voix autorisée de la communauté musulmane sénégalaise, l'Eglise catholique de notre pays, à travers l'Archevêque de Dakar, s'est, elle aussi, inscrite dans le même souci de dialogue et de d'écoute entre acteurs politiques.
À ce propos, l'Archevêque déclare :
« Il est dommage qu’on ne puisse pas s’asseoir pour se parler en paix et chercher où se trouvent vraiment les enjeux. Car plus on est en paix, plus on peut travailler pour le développement», il ajoute : « il est temps que les acteurs politiques s’assoient autour d’une table pour discuter dans la sincérité ».
En effet, l'esprit du dialogue est constitutif de note contrat sociétal.
Le Sénégal est un pays de dialogue qui, de par sans grande tradition démocratique, a pu régler toutes les crises majeures. Le baobab, qui est notre emblème national, n’est pas seulement l’expression d’une puissance et d’un enracinement dans nos valeurs cardinales, mais il symbolise aussi, l’arbre à palabre sous lequel se discutent toutes les questions essentielles à même de favoriser la cohésion dans le terroir et le vivre ensemble.
Notre pays, de par cette cohésion sociale, est l’une des exceptions en Afrique, s’il n’en est pas la seule, qui n’a jamais connu de coup d’Etat, ni de guerres civiles, ni de conflits ethniques majeurs.
Et en dignes héritiers de cette tradition de dialogue, nous avons l’obligation de sauvegarder cet acquis. 


L’appel au dialogue et la nécessité d'y souscrire , ne constituent pas seulement une recommandation religieuse qui légitime l’interpellation des chefs religieux à l’endroit de la classe politique, il trouve  son fondement dans notre culture, illustré par cet adage populaire qui dit que : « Djouyoo Amoul Niakka wakhtane mo ame », pour dire que la divergence n’est que le revers d’une absence de dialogue, et  par un dialogue sincère et franc, des solutions peuvent être trouvées à toutes sortes de problème.
Il est d’usage dans notre pays, qu’à chaque fois qu’un appel est lancé en faveur d’un dialogue politique, les partis politiques se sentent plus concernés et ruent dans les brancards avec des motivations à geométrie variable.Soit pour adouber ou s'opposer, soit pour l'instrumentaliser. Cette attitude portée par une minorité bruyante est loin des valeurs de la citoyenneté et du vivre ensemble qui nous incombent à tous. La majorité silencieuse et non politicienne a voix au chapitre, et le dialogue lui importe pour ce qu’il en attend en retour. À ce propos, une des références les plus partagées par la communauté sénégalaise, le Coran, parle des vrais croyants en ces termes : « Ceux qui répondent à l'appel de leur Seigneur, accomplissent la Salât, se consultent entre eux à propos de leurs affaires, dépensent de ce que Nous leur attribuons ».
En vérité, dans un petit pays comme le nôtre,  pauvre, et endetté, le fait de gaspiller son temps et son énergie,  à débattre de choses purement politiciennes, sans aucune perspective de consensus fort dans la volonté de repondre aux préoccupations majeures de nos populations est contre productif.
Nos hommes politiques se doivent de faire preuve de dépassement, savoir taire leur divergences le temps d’apporter des solutions urgentes aux difficultés auxquelles font face les populations ; à défaut, les risques de dégénérescence sont réels.
 Il est donc inconcevable que des irresponsables politiques de tous bords qu’ils se trouvent appellent à l’insurrection ou à la désobéissance civile parce qu’ils refusent de déférer à un quelconque appel. Chacun est libre de croire ou pas à la sincérité d’un appel au dialogue : le choix à ce niveau est vraiment libre, quant à escalader cette liberté pour appeler à une insurrection est à la limite délictuelle. « Et craignez une calamité qui n'affligera pas exclusivement ceux qui l’ont provoquée. Et sachez qu'Allah est dur en punition » enseigne le coran.
Nous lançons un pressant appel à tous les acteurs de la chose politique, partis politiques, société civile, religieux, personnalités influentes, afin qu’ils répondent au souhait de dialoguer, et imposent pour la réussite de l’exercice, un dialogue franc et constructif.
Personne ne doit refuser l’appel à un dialogue même venant de Satan, car Dieu le plus noble l’a accepté de sa part, et ne dit-on pas dans notre pays : « Koula woo boula diokhoul Wakhla », pour dire qu’il faut répondre à l’appel au dialogue, sauf si on est sûr de sa contre productivité. Et dans une volonté de bien faire, éviter autant que peut se faire les enchères qui annihilent l’esprit du dialogue.
Nous demandons au gouvernement, initiateur du dialogue à travers le Ministère de l’intérieur, et de la sécurité publique, de faire preuve de sincérité dans l’appel au dialogue et d’avoir une oreille attentive quant aux récriminations objectives de l’opposition politique, qui j’en suis sûr, regorge d’hommes épris de justice et soucieux de la paix, de la stabilité et de la cohésion sociale, conditions sine qua non à toute aspiration au développement.
Au delà des rencontres entre le gouvernement et les acteurs politiques qui doivent s’inscrire dans la durée et la continuité, le chef de l’Etat lui-même en tant que gardien de la Constitution et garant de la paix sociale et de la stabilité du pays, doit aménager dans son agenda légitimement plein, des rencontres périodiques et fréquentes avec les acteurs politiques représentatifs et ceux de la société civile pour discuter et échanger sur la situation nationale. Si tous les acteurs politiques sont d’égale dignité, il va de soi qu’ils ne sont pas d’égale légitimité, ni d’identique représentativité. Le choix des interlocuteurs à ce niveau a tout son sens.
Et pour rappel, un dialogue ne pourrait porter de fruits, que s’il respecte les conditions suivantes:    
  1. Se donner les moyens de changer : nul ne doit  entamer un dialogue avec la seule volonté de convaincre ou de faire valoir ses idées et positions. Le justificatif d’un refus de répondre au dialogue serait qu’il s’agisse juste d’une mise en scène visant à faire valider ou à faire valoir des positions unilatérales. Et cela est contraire à la sincérité requise dans le dialogue.
  2.  Prendre en compte les intérêts divers, voir divergents des acteurs du dialogue: un dialogue est un exercice de compréhension mutuelle, qui exige de toutes les parties une disposition à laisser du lest, sans trahir ses principes pour une harmonisation dans les positions et un consensus fort sur l’essentiel.
  3. S’engager à choisir des parties prenantes légitimes et des enjeux pertinents : les parties prenantes d’un dialogue doivent être bien choisies, si la situation ne les impose pas. Ils se doivent de faire montre d’une attitude positive et d’une volonté constructive. Leur légitimité à parler au nom des populations, dans le cas d’un dialogue politique, doit être réelle. Aussi, les sujets sur lesquels porte un dialogue constructif doivent être pertinents et bien définis pour éviter les impasses et permettre le rapprochement  des positions. Nul n’a le droit, dans le cadre d’un dialogue constructif, politique ou autre, de poser des conditions subjectives et partisanes qui annihilent tout effort d’entente.
  4.  Impliquer toutes les parties prenantes en désignant un facilitateur équidistant, qui peut être une personnalité respectée ou un groupe de personnes crédibles pouvant conduire les débats et arbitrer en cas de divergence. Même initié par un gouvernement à l’endroit de son opposition,  les premières rencontres d’un processus de dialogue permettent toujours de s’entendre sur un minimum de fondamentaux, et de pouvoir porter le choix sur des profils consensuels, capables de régler les différends et de conduire vers des mesures consensuelles. Et ma foi, notre pays en regorge.
  5.  Ancrer la démarche dans le temps et dans la durée : ne pas faire du dialogue un jeu de séduction qui se fait une fois que les signaux sont au rouge, et les issues fermées,  pour par un trébuchement, relancer le débat public, Non !!! Un dialogue constructif doit s’inscrire dans la durée, il faut s’y prendre très tôt, si on lui veut de bons résultats.
  6. Rendre compte de manière transparente des résultats de la démarche à l’ensemble des acteurs et prendre en considération leur réaction.
  7. Mettre en place un mécanisme de suivi de la mise en œuvre des éléments de consensus issus du dialogue : sans un dispositif de suivi de l’application des engagements et décisions issus d’un dialogue, l’exercice serait sans grande utilité.
Notre pays vit des moments difficiles, et en des moments pareils, rassembler ses fils pour les aider à surmonter leurs différences et résoudre leurs problèmes est plus que nécessaire, il est un impératif.
 
Dialoguer, c'est appendre à se connaître dans le respect de nos différences,
Dialogue c'est éviter l'étroitesse d'esprit et la calomnie,
Dialoguer c’est la clarté et la  sincérité dans le discours,
Dialoguer c'est surtout éviter les polémiques stériles, les déchirures et s'inscrire résolument et avec force de conviction dans la recherche de la cohésion nationale, la reconnaissance des droits et devoirs et le partage de projets communs.
Que toute la classe politique et l’ensemble des acteurs de la chose publique puissent entendre l’appel des autorités religieuses du pays et y répondre favorablement, avec l’intention de bien faire pour aider notre cher Sénégal à entreprendre un avenir radieux dans la paix et la cohésion sociale.
Sénégal benn bopp la kenn mounouko khar niaar, bougnou wakhtané djoubo.
Que Dieu bénisse le Sénégal.
Ismaila NDIAYE
Analyste-chercheur
Membre de la ligue des imams et prédicateurs du Sénégal (LIPS)
ismandiaye777@yahoo.fr
 
Lundi 20 Novembre 2017
Dakar actu




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