Déclaration
Dans un Etat où le Président de la République a toujours déclaré que « … l’Etat de droit, la gestion vertueuse des affaires publiques est, plus que jamais, une exigence citoyenne. C’est aussi un impératif économique absolu et une question d’équité et de justice sociale », l’on comprend difficilement le discours martial et menaçant du Ministre des forces armées par rapport à la prise de parole courageuse et responsable du Colonel Abdoulaye Aziz NDAW, dans ses tentatives de dénonciations de faits de corruption extrêmement graves, relevés dans la gouvernance des institutions de sécurité publique du Sénégal. Le Forum Civil, magnifie le courage, le patriotisme et le sens des responsabilités du Colonel NDAW pour avoir donné l’occasion au peuple sénégalais de se faire une idée sur la gestion calamiteuse de leurs deniers publics par une partie de l’administration sénégalaise en uniforme.
Cette prise de position ne saurait être interprétée comme une attitude favorable au Colonel Abdoulaye Aziz NDAW, encore moins constituer un plaidoyer pour le soustraire aux règles de la discipline militaire.
Cette situation ne constitue pas une surprise pour notre organisation au regard des résultats établis annuellement par le baromètre de la corruption, publiée par Transparency International, pour mesurer le niveau de corruption et de mal gouvernance dans les différents secteurs de la vie publique au Sénégal et dans le monde. L’ouvrage du Colonel NDAW, par les informations détaillées qu’il fournit vient consolider cette tendance en confirmant l’état critique de la corruption au Sénégal, qui se révèle être une véritable gangrène qui pollue l’atmosphère économique, politique et sociale du pays, sans que des initiatives énergiques soient prises par les autorités Etatiques, pour l’éradiquer.
Les propos du Ministre des Forces Armées diffusés récemment dans les médias, par leur orientation et le langage utilisé révèle déjà l’option d’un traitement expéditif et répressif qui sera appliqué au Colonel NDAW. Cette tâche inqualifiable sera malheureusement exécutée par la haute hiérarchie de la gendarmerie dont un des membres est accusé dans cette affaire. Les autorités étatiques actuelles, à chaque fois que le pays est confronté à de graves problèmes (affaire de la police avec le Commissaire Keita, aujourd’hui la gendarmerie avec le colonel NDAW), préfèrent verser dans une stratégie d’évitement pour mettre toute leur énergie destructrice sur le lanceur d’alerte plutôt que sur le problème lui-même. Une telle attitude, n’installera jamais le Sénégal sous le sceau d’une gouvernance vertueuse. L’ouvrage relate des faits d’une extrême gravité qui menacent sérieusement la sécurité et la stabilité des institutions, mais aussi la gouvernance financière de certains secteurs clés de l’Etat.
L’ancrage des pratiques corruptrices dans les corps d’élites, qui assurent la sécurité publique, ne saurait être toléré du fait des valeurs attachées à ces institutions, par la perception populaire, bâtie sur la rigueur, l’honneur et le patriotisme. Les sénégalais devront refuser que cette affaire soit traitée de manière précipitée, pour éviter de faire droit aux immenses attentes citoyennes de plus d’information et d’équité. Les structures habituelles de la gendarmerie, habilitées à connaitre de ces questions sont disqualifiées cette fois-ci du fait qu’une partie de la hiérarchie militaire est pointée du doigt. Cette dernière ne peut pas être juge et partie. Il y’a des risques élevés que les modes d’investigation habituels, appliqués à cette affaire, se révèlent peu efficaces et servent juste, au musèlement du Colonel NDAW pour ainsi décourager toute autre velléité qui pourrait émerger de ces rangs.
Dans ces affaires révélées par le Colonel NDAW, il y’a des éléments qui relèvent du droit et d’autres de l’éthique et de la morale. Pour cette raison l’on devrait éviter de s’enfermer dans du juridisme sans occulter la nécessité de faire appliquer la règlementation en vigueur. Malheureusement, c’est cette direction qui semble être prise, à entendre le ton guttural du Ministre des forces armées et les nombreuses références juridiques évoquées dans ses différentes sorties médiatiques, dont la cohérence pose sérieusement problème au regard de certaines dispositions contenues dans la Constitution et du code de transparence de l’UEMOA. Car, il faut le préciser le droit à l’information plurielle des citoyens est consacré par la Constitution en son article 8 dernier alinéa. Il s’agit à travers sa consécration de fonder une administration qui gère les affaires publiques de manière transparente comme le prévoit le préambule constitutionnel du 22 janvier 2001 qui dispose que « La République du Sénégal manifeste son attachement au principe de transparence dans la conduite et la gestion des affaires publiques ainsi qu’au principe de bonne gouvernance ». Dans la même veine, et afin de garantir la bonne gestion des deniers publics le Sénégal a transposé la directive de l’UEMOA n°1/2009/CM/UEMOA du 27 mars 2009 et qu’il a adopté à travers la loi n°2012-22 portant code de transparence dans la gestion des finances publiques; celle-ci autorise la divulgation des informations liées à la gouvernance financière des structures de l’Etat.
Dans le même prolongement, le Parlement a introduit des modifications sur les dispositions du code électoral autorisant le vote des militaires et paramilitaires; ce qui les projettent dans l’espace de prise de parole publique et démocratique du Pays. Les modifications portées par ce nouveau cadre juridique favorisent ainsi la participation des corps d’armées à la vie démocratique et sont confortées par l’évolution du droit international en la matière sous le vocable de lanceur d’alerte. Il s’agit là de « toute personne qui fait des signalements ou révèle des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l’intérêt général dans le contexte de sa relation de travail, qu’elle soit dans le secteur public ou dans le secteur privé. »[[1]]url:#_ftn1 D’ailleurs, avant de faire usage de ses droits démocratiques le Colonel NDAW a pris soin par respect dû à la hiérarchie, d’interpeller les autorités étatiques et militaires sur les manquements graves qu’il a constatés, mais elles n’ont pas réagi.
C’est à partir de ce moment, qu’il a sacrifié à son devoir d’information du peuple sénégalais. Il a, en fait, pris conscience du fait que, face à des pratiques de corruption et d’actes qualifiables de haute trahison, ce serait une trahison d’opposer l’argument du devoir de réserve qui est purement règlementaire et de se confiner dans une omerta contraire à la constitution.
Pour légitimer les mauvaises pratiques soulevées par le colonel, les autorités ont souvent recours à la notion de secret-défense ; ce qui participe d’une volonté de soustraction de la commande publique de l’administration des corps militaires et paramilitaires au principe de transparence. Un tel constat commande la mise en place d’un mécanisme de contrôle qui prend en compte les spécificités de l’armée.
Fort de ces constats, le Forum Civil :
Appelle solennellement le peuple sénégalais à soutenir le droit d’expression du Colonel Abdoulaye Aziz NDAW sur ces questions qui menacent la stabilité du Pays et des Institutions de sécurité publique.
Exhorte le Gouvernement à adopter une attitude mesurée plus responsable et à ne pas s’inscrire dans une stratégie de bâillonnement et d’étouffement de cette affaire qui est d’une extrême gravité et qui peut à la limite menacer l’intégrité du territoire et saper davantage la rigueur dans la gestion des deniers publics au sein des corps spécifiques comme la gendarmerie, l’armée, la police ou la douane et en général dans l’administration sénégalaise ;
Demande l’harmonisation du règlement militaire à l’évolution de l’ordonnancement juridique sur les libertés publiques,
Invite à l’ouverture d’investigation rigoureuse sur la gouvernance financière des corps de l’armée sur les dix dernières années.
Recommande à l’Etat d’aller dans le sens de l’évolution du droit international en initiant une loi pour encourager et protéger les lanceurs d’alertes dans le secteur public comme dans le privé.
A défaut pour l’Etat de prendre les mesures innovantes qui sied à cette situation, nous demandons aux sénégalais d’être vigilants et de se mobiliser pour la défense des institutions et des principes de la République.
Fait à Dakar, le 25 Juillet 2014
Groupe de réflexion sur la transparence dans la vie publique.
Birahime Seck
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