Bétenty, l'abattue


Propulsée au devant de l'actualité par un drame à nul autre pareil, Bétenty, se réveille peu à peu de son cauchemar. Lundi 24 avril, une pirogue qui transportait des collectrices d' huîtres, l'activité commerciale principale des femmes de l'une des très belles îles du Saloum, a chaviré. Le bilan est lourd. Inacceptable. Sur les 70 passagers, 21 ont sombré dans les eaux. Pas un seul homme. C'est l'hécatombe. Quand l'information a traversé le cours d'eau qui sépare le lieu du "crime" de l'îlot tranquille séparé de Missirah, dans la commune de Toubacouta (Foundiougne) par 14 kilomètres qu'il faut faire par pirogue, le temps s'est arrêté pour ces gens paisibles. Leur vie prend un autre sens. Leur "gros village" s'est soudainement retrouvé sous les feux des projecteurs. Le chavirement est d'autant plus affligeant qu'il a emporté des âmes innocentes. En effet, des jeunes filles, pardon des fillettes étaient à bord de la petite pirogue qui a prêté le flanc. Parmi ces mineures, des élèves à l'image de Amy Collé Diouf. 

Je voulais que ma fille poursuive ses études

Elève en classe de CE1 à l'école 2 de Bétenty, elle a embarqué avec les chercheuses de "pagne" comme on les appelle ici. A l'insu de son instituteur Mr Camara. "C'était une élève très brillante que je suivais personnellement. Même quand elle ne venait pas suivre les cours, je prenais la peine d'aller chez elle m'enquérir de la raison qui la retenait", regrette cet enseignant qui officie dans l'une des écoles primaires de cette île depuis 2012. "C'est sa mère qui la retenait à la maison, ce qui fait qu'elle a manqué deux compositions", ajoute Mr Camara, la mine triste. Le père de la victime ne dit pas le contraire. Trouvé chez lui, Abdou Diouf semble prendre sur lui. L'homme d'une soixantaine d'années, ne donne pas à prime abord l'impression d'avoir perdu un proche dans la tragédie qui occupe toutes les discussions au Sénégal. Il est accueillant, à la limite égayé. Il faut deviser avec lui pour savoir ce qu'il a au fond du coeur. Du malheur qui lui est tombé dessus avec la perte de sa fille chérie, le tradipraticien de fonction n'en retient qu'une chose : la volonté divine. Pour autant, il aurait aimé que sa fille poursuive ses études. " Le lundi dernier, sa mère est venue me dire qu'elle n'a pas cours et que par conséquent, elle est partie avec les chercheuses d'huîtres. J'ai objecté en lui rappelant que telle n'est pas la destinée de ma fille. Vers 17 heures, je suis allé à la plage, c'est en revenant, que j'ai vu une foule et tout le monde parlait d'un chavirement de pirogue. En avançant, j'ai aperçu un groupe de personnes qui murmuraient que des membres de ma famille avaient embarqué à bord de la pirogue qui a coulé. "Il n'en sait rien", disaient ils, en ignorant que j'entendais tout ce qui s'échappait de leur assemblée. Quand je suis allé à la morgue pour vérifier l'information, j'y ai vu des corps mais pas celui de ma fille. J'ai vu ma femme, ma belle soeur, mais pas ma fille. Finalement, elle a été retrouvée ce mardi à 13 heures et enterrée le même jour", elle est la dernière à être retrouvée", confie Abdou Diouf qui ne cache pas que la mort d'Amy Collé à la fleur de l'âge l'a atterré. Propos que ses larmes qu'il a essayé de contenir ont confirmé. Pourtant sa belle soeur a tenté de sauver sa fille. 

Rescapée du chavirement, Ramata Sogue confie avoir essayé de tirer Amy Collé des eaux. "Quand les choses se sont emballées, je lui ai dit de s'accrocher à un pan de mon pagne, mais elle a été malheureusement perdue par la panique générale", se remémore la voilée qui ajoute avoir été sauvée par une planche en bois. Sur les circonstances du drame, elle détaille : "C'est après la survenue de trois vagues successives que la pirogue a sombré. C'était le sauve qui peut. Certaines ont eu la chance d'être propulsées hors des eaux par les vagues, d'autres se sont accrochées à leurs bassines. C'est dire que tous les moyens étaient bons pour rester en vie. En ce qui me concerne, j'ai enlevé mon voile pour alléger mon poids". Les premiers secours sont l'oeuvre de pêcheurs venus de Bassoul. "Quand ils ont entendu nos cris de détresse, ils ont accouru pour sauver tout ce qui pouvait l'être. Parmi celles qu'ils ont secourues, la soeur aînée de la jeune Amy Collé. Mais avant leur arrivée, Dialy Diouf a eu le réflexe de s'adosser à la pirogue qui est restée intacte malgré quelques dégâts mineurs. Renflouée, "l'arme du crime" trône au large de l'ile de Bétenty et semble narguer les populations de cette localité perdue au fin fond du Sine Saloum et qui garde encore quelques stigmates de l'innommable. 

Ce jour là, je croyais que j'allais mourir

Comme cause du chavirement de la pirogue de la mort, certains dont Abdou Diouf avancent la thèse de la surcharge. À l'en croire, l'embarcation devait contenir juste 30 passagers au lieu des 70 qu'elle transportait ce lundi 24 avril. Le père d'Amy Collé accuse également le capitaine de la pirogue. "Il devait veiller à ce que tout le monde mette un gilet de sauvetage. Il a fait preuve d'irresponsabilité", déplore ce père meurtri. L' accusé, quant à lui, a du vivre un véritable cauchemar. Sans voix depuis "l'accident", il n'est pas en mesure de sortir un mot. Il communique par gestuelle. "Il a perdu l'usage de la voix du fait que beaucoup de femmes l'ont étranglé pour se sauver", explique un de ses proches. Quoi qu'il en soit, les rescapés risquent de ne pas se remettre de sitôt de l'épisode macabre qu'ils ont traversé non loin de l'île des oiseaux. "Mes nuits sont remplies de cauchemars, car je ne cesse de repenser à ce jour. Ma co-épouse a été engloutie par les eaux", pleure Ramata Sogue. Même son de cloche chez la jeune Dialy Diouf qui avoue une fatigue insurmontable. Aussi renchérit elle, avoir perdu le sommeil. Ce qui pose le problème du suivi médical de ces rescapés. Pour leur part, les noyés reposent au cimetière de Bétenty. 

Pour consoler leurs familles, le gouvernement du Sénégal a dégagé une enveloppe de 11 millions. La distribution se fait selon une règle établie par le chef de village, Tidiane Diouf. "Les familles des victimes perçoivent chacune 420 000", nous a révélé le chef de village. Les rescapés de leur côté n'ont droit qu'à 43 000 francs en attendant l'arrivée prochaine du président Macky Sall pour présenter les condoléances de la nation sénégalaise...
Jeudi 27 Avril 2017




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