Bassirou Faye : Lettre d’outre-tombe !


Bassirou Faye : Lettre d’outre-tombe !
Le 14 Aout, d’une balle assassine dans la tête, je rejoignais l’autre monde, l’au-delà ! Dieu sait que je n’étais pas au front, bien que je l’ai toujours soutenu. J’avais la tête et tout mon esprit tourné vers la résolution d’un exercice de mathématiques qui me donnait du fil à retordre avant que mes amis ne viennent me demander de sortir de la chambre par précaution ; Les policiers avaient commencé à défoncer les portes. Depuis tout petit, je vis, l’œil rivé sur le bonheur de mes parents, surtout celui de ma mère ;
Une brave femme marquée par les stigmates d’un combat de survie longtemps mené pour ses enfants et dans l’antre de la pauvreté. Pour cette femme, j’ai voulu « accélérer la cadence », celle qui mène à ma réussite et pour ne jamais devoir quelque chose à qui que ce soit j’ai fait pas mal de petits boulots pour subvenir moi-même à mes propres besoins. Eh oui ! Aujourd’hui ce rêve est tombé dans l’eau du fait d’un tireur embusqué et à qui sincèrement je n’ai rien fait. J’ai grandi parmi les pauvres, qui, toujours, subissent leur vie, et jamais ne la choisissent. Les pauvres ne sentent leurs chaînes que lorsqu’ils redressent la tête, mais ils ne la redressent pas. J’ai, néanmoins, cru au miracle en voulant relever ma tête dans ce temple du savoir qu’est l’Université Cheikh Anta Diop. Des experts balistiques ! En avez-vous besoin ?
Celui qui a tiré sur moi sait en âme et conscience que c’est lui que vous recherchez. Il ne dort plus car je hante ses nuits. Il voit mon image partout et dans ses nuits la chaleur de son corps l’envahit. Cet assassin ne suit plus les infos à la télé, n’écoute plus la radio et ne lit plus les journaux ; Rien que mon nom le fait tressaillir, mon image remplace ses propres mirages. Il n’en peut plus ! Non content d’ôter la vie à un sénégalais, il nous fait encore dépenser de l’argent pour faire venir des experts en balistique et retarder le repos de ce corps las d’attendre dans des tiroirs. Depuis mon départ vous ne cessez de spéculer ! Vous avez réponse à tout dans ce pays ! Il faut avoir, à l’occasion, le courage d’avouer son ignorance.
Ne demandez pas aux témoins, pour les croire, de se faire égorger chaque semaine. Demandez-leur plutôt de se garder de déposer sur les causes qui les échappent. Un des maux dont souffre notre pays vient de l’abondance de péremptoire. Jamais époque n’a été moins certaine que celle-ci et cependant plus assourdie de certitudes. Envions ceux qui savent, mais demeurons perplexe sur le bruit qu’ils font.
Ceux qui parlent fort, ne serait-ce que pour masquer leurs doutes ? La vérité n’a pas besoin de tant d’éclat et c’est la sérénité qui lui convient. Restez sereins, chers sénégalais ! Le silence aussi a son prix, quand ce ne serait que valoir à qui accepte d’en alterner ses propos, le quitus de l’honnêteté intellectuelle. Ô dirigeants de ce beau pays ! La bourse est la seule bouée à laquelle les étudiants sont accrochés pour ne pas sombrer. Ces sommes que d’aucuns peuvent juger dérisoires continuent pour bon nombre de potaches d’entretenir le feu sur lequel est posé la marmite à la maison.
Eh oui ! Nous les partageons avec nos parents pour que la famille ne tombe plus bas que le niveau de pauvreté connu aujourd’hui. Certains étudiants envoient la totalité de la somme reçue au village avant de se contenter de pains rassis et de biscuits noyés dans du lait. Ne pas payer ces bourses, c’est ôter le pain à toute la famille. Acceptez d’être critiqué car on fléchit mieux par la critique que par la censure. Celui qui rejette tout, risque en retour d’être entièrement rejeté. Aux gens qui insultent ne les traitez jamais selon leur mérite, mais selon votre grandeur ; Et c’est cela le plus grand enseignement de nos vaillants érudits. Messieurs, la violence, les étudiants l’ont à l’intérieur d’eux-mêmes et, faute de la projeter au dehors, ils risquent un jour de la retourner contre eux-mêmes. Attention !
Ces jeunes vivent tellement d’injustice qu’ils se racontent dans le secret de leur chambrette la nuit venue. Ils n’ont pas la chance qu’ont vos enfants d’aller fréquenter de grandes universités à l’étranger ; les sujets d’examens sont entre les mains d’étudiants et la plus part du temps des étrangers, avant le jour des évaluations ; les repas qui leur sont servis laissent à désirer ; des étudiants affiliés à des partis politiques sont soutenus gracieusement ; S’il s’y ajoute maintenant le fait de devoir rester des mois sans bourse ou aide, la « bombe universitaire » risque d’éclater, sans épargner les passants qui seront au dehors. Prenez garde ! Accepter que les forces de l’ordre accèdent au campus c’est courir le risque de mettre en face deux catégories de jeunes que tout ou presque oppose : « l’intelligentsia » et la « force légale ». Un vrai cocktail ! Lorsque les hommes étaient analphabètes, les guides leur étaient nécessaires. Ils suppléaient à leur ignorance. Chez les hébreux on les nommait juges, parce qu’ils jugeaient seuls de ce qui est bon pour le peuple. C’était le temps des peuples enfants. Il leur fallait un père. Aujourd’hui, les hommes savent lire. Ils ont appris à réfléchir sur leur vie individuelle et communautaire. Ils entendent disposer d’eux-mêmes, se diriger seuls, comme des grands.
Les peuples sont devenus adultes, les hommes qui les composent sont des citoyens et l’Etat est leur affaire. Intégrez cette dimension dans vos rapports avec les sénégalais car ils ne sont plus le même peuple qu’en 1960. Ici, j’ai rencontré Balla Gaye, Me Babacar Sèye, les victimes du Joola…
Tous ces gens dont les crimes sont restés impunis m’ont accueilli en me disant clairement que si les autorités ne font rien pour retrouver et condamner ton meurtrier c’est qu’ils n’ont rien retenu de nos différentes leçons. Il faut coûte que coûte éviter que l’impunité qui, hier, a frappé un homme ne se répète, sinon c’est le frapper de nouveau. Je vous le dis en mille, les guides religieux dont vous vous glorifiez ne sont pas du tout content de ce que vous avez fait de leur legs. Eux qui pendant longtemps ont prié pour que la Paix et la concorde règne au Sénégal. Qu’en avez-vous fait ? -
Un pays où les femmes sont violées ; Forcer une femme est un geste odieux qui abaisse l’homme au-dessous de l’animal qui, lui, ne viole pas. Ecœurant ! - Une terre où l’argent est maître de tous et reste le seul régulateur de toutes les relations : fraternelle, entre un talibé et son marabout, entre mari et femme, amicale… « No amé rek baxna » ! - Un lieu où des femmes marchandent ce qu’elles ont de plus chère ; - Un pays où le mensonge, la fraude, la calomnie, l’invective, l’insulte…font avancer les gens ; Qu’en avez-vous fait de ce pays ? Rien que de la perversion ! Et vous réclamez la pluie. (Rires) Les grands hommes ont droit à la vérité. C’est le seul hommage qu’on puisse leur rendre. Une démocratie vivante se reconnaît à ce signe qu’elle ne craint pas de se laisser interroger par ses morts. « Aimez-vous les uns les autres ! »

P.O Souleymane Ly
Jeudi 21 Août 2014




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