Les réactions que j’ai enregistrées en rapport avec ma contribution, le plus souvent in box, peuvent être résumées dans les interpellations ci-dessous de la part d’un a mi de la gauche. Il a dit en substance :
« Je crois qu'il est bon de régler au préalable ces quelques questions:
1) Quelle est la place de la propriété privée dans un état démocratique?
(vous avez une formation "marxiste")
2) Doit-on accorder dans un état démocratique et laïc un statut particulier à une communauté religieuse? Pourquoi? Comment? Quelles seront les conséquences?
3) A quoi jouez-vous, vous membre du PIT, parti de la mouvance présidentielle? ».
Il me plait donc, à travers ses questions pertinentes, de tenter de répondre à toutes celles et à tous ceux que ma contribution aurait troublés.
1) La place de la propriété privée dans un Etat démocratique obéit aux exigences de l'Etat de Droit, qui soumet toutes les composantes de cette société, y compris l'Etat, au Droit.
En d'autres termes, nul n'est au dessus des Lois, et force doit rester aux lois démocratiques de la République.
C'est pour cette raison, que l'application des lois républicaines obéit à des procédures sous peine de nullité, procédures qui respectent les droits des citoyens, dont le droit de propriété privée, et l'obligation de l'Etat de protéger tous ces droits.
Le Marxisme, pour ce que j'en sais, ne nie pas le droit de propriété privée en général dans la société capitaliste, mais bien le droit de propriété privée des moyens de production et d'échange en particuliers.
Que je sache, Touba n’est pas un « moyen de production ou d’échange » dont l’appropriation privée est visée par le Marxisme.
C'est la propriété privée des moyens de production et d'échange que le Marxisme demande à abolir en les "socialisant", pour en faire une propriété commune.
2) Dans un Etat démocratique et laïc, il est exclu de conférer à une communauté religieuse un « statut particulier », du seul fait qu’elle est une « communauté religieuse ».
Il s'agit, comme énoncer dans les " Conclusions des Assises nationales", de reconnaître aux « communautés religieuses » le "droit à la libre administration de leurs affaires", dans le cadre défini par la Loi.
Cette « libre administration » ne signifie pas une "autonomie", et ne constitue en aucun cas un "sanctuaire".
Par rapport à Touba, cette citée est historiquement constituée, à la fois, comme " propriété privée" de son fondateur, et comme " communauté religieuse".
En effet, Touba fut érigé sur un titre foncier privé du nom de son fondateur, Cheikh Ahmadou Bamba.
Ce titre fut réellement accordé par le pouvoir colonial au chef religieux des mourides, le 17 septembre 1928, lors du règne de Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké (1927 -1945), sous le numéro 528, pour un bail de 50 ans sur une superficie de 400 ha.
Par la suite, le titre de la concession connût plusieurs réaménagements dont celui de la réforme administrative de 1976, inscrivant Touba comme Commnauté rurale (sur une superficie de 564 km2), et celui de 2003 accordant une superficie additionnelle de 30.000 ha sur 12 km autour de la Grande Mosquée de Touba. (Source : « POUVOIR POLITIQUE ET ESPACES RELIGIEUX AU SÉNÉGAL: LA GOUVERNANCE LOCALE À TOUBA, CAMBÉRÈNE ET MÉDINA BAYE », thèse présentée par Mountaga Diagne, 2011.
Tout Etat Démocratique et Républicain est donc tenu de respecter ces deux aspects historiques de Touba, qui en font une "citée à statut spécial", puisque différente de toutes les autres citées de la République.
Donc, vouloir aujourd'hui ne voir en Touba qu'une " communauté religieuse", serait une vaine tentative de refaire l'histoire de notre pays.
Le reconnaître n’est pas faire « acte d’allégeance à la confrérie mouride », mais c’est tout juste, prendre en compte la nature juridique de cette citée, telle qu’elle a été historiquement construite.
De même, interpréter ce « statut spécial » comme une manifestation divine à vénérer, et non comme un fait, historiquement établi, de conquête de Cheikh Ahmadou Bamba sur le colonialisme Français, relève d'un fanatisme primaire que je ne saurais partager.
C’est en vertu de cette « spécificité » de Touba, comme, à la fois, « citée privée et religieuse », qu’il est la seule « citée », au Sénégal, à bénéficier « d’une Police spéciale » et d’une « Gendarmerie spéciale ».
Ces forces de sécurité sont autant à la disposition du Khalife Général que de l’Etat pour maintenir l’ordre et exécuter les lois républicaines.
Ce serait donc tout à fait infondé d’y voir un acte d’ « allégeance » de nos gouvernants, et non une prise en compte, par l’Etat, de cette spécificité historiquement établie et reconnue par tous les régimes qui se sont succédés dans notre pays, et acceptée par toutes les composantes de notre société, y compris toutes les confréries religieuses et l’Eglise dans notre pays.
3) je ne joue à rien d'autre que pour le respect des exigences de l'Etat de Droit dans notre pays, quelque soit le gouvernement en place.
Et en rapport avec Touba, l'Etat doit y appliquer les lois de la République en respectant les procédures édictées par la République vis à vis d'une propriété privée.
Et cela est particulièrement nécessaire dans le cas d'intervention des forces de l'ordre.
Les forces de l'ordre ne peuvent intervenir dans une propriété privée que sur autorisation du propriétaire ou sur mandat du Procureur que les forces de l'ordre doivent présenter au propriétaire, ou à une personne trouvée sur place.
Après cette formalité, le mandat du procureur devient exécutoire de plein droit, que le propriétaire soit d'accord ou pas.
Sans le respect de cette formalité, les forces de l'ordre agiraient en toute illégalité, et les perquisitions ou arrestations opérées sont nulles et non avenues devant le juge.
Si non, l'on aurait affaire à un Etat despotique, dans lequel, la "volonté" du Chef s'exécute sans autre forme de procès.
L'Etat du Sénégal a su, depuis l'Indépendance, par rapport à Touba, respecter la nature de cette citée comme "propriété privée" et comme "communauté religieuse", et le Khalife Général des Murid s'est toujours illustré dans le respect de l'application des lois de la République par l'Etat, dans cette citée, si ce dernier respecte les procédures édictées par les exigences de l'Etat de Droit.
Cette attitude devrait être celle de tout citoyen détenteur d'un droit de propriété privée, que l'Etat ne doit, sous aucun prétexte, violer en ne respectant pas les procédures auxquelles son action est soumise par la Loi.
Beaucoup de nos compatriotes aspirent à l'Etat de Droit, mais ignorent ses exigences édictées en termes de procédures par la Loi.
Il faut juste se rappeler, que récemment, l'Etat a démantelé un réseau de trafiquants d'armes à Touba après avoir respecté les procédures que lui impose la Loi.
C'est la raison pour laquelle, j'ai qualifié son intervention à Touba dans le cas de Moustapha Cissé Lo, d' "amateurisme" ou d’ "ignorance coupable" des procédures auxquelles il est astreint, dans un Etat de Droit.
Peut on donc continuer de se prévaloir de" Républicain démocrate" dans un Etat de droit, et cautionner en même temps, cette intervention de l'Etat? Que nenni!
C'est dans ce sens que l'Association des Magistrats du Sénégal appelle les "Procureurs" à assumer leurs responsabilités, plutôt que de se laisser dicter, par l'exécutif, leur attitude dans cette affaire.
En effet, le Procureur de Diourbel ne s’est pas auto saisi en délivrant un mandat aux forces de l’ordre, et le Préfet, en temps que représentant du pouvoir exécutif, n’a pas saisi le Procureur avant l’intervention des forces de l’ordre à Touba.
C’est cette « illégalité » que le Ministre de l’Intérieur a voulu réparer en se déplaçant au près du Khalife Général, et la libération des 19 prévenus , que l’ Association des Magistrats du Sénégal lui a attribuée, tout en sachant que le juge ne pouvait pas, en aucun cas, les condamner à des peines, ni les renvoyer aux Assises, pour peu que leurs avocats soulèvent, à son niveau, des « exceptions de nullité pour non respect des procédures » en la matière.
Mais la question qui se pose alors est de savoir, s'il n'est pas trop tard pour le Procureur de rectifier le tir pour faire appliquer la Loi, après sa violation flagrante par l'exécutif dans cette affaire!
Ce qui est donc entrain de se jouer à Touba interpelle tout Sénégalais soucieux du devenir de l'Etat de droit dans notre République Démocratique.
N’y voir qu’un « affrontement », entre pouvoir religieux et l’Etat républicain et démocratique, ou qu’une « défiance » vis-à-vis de l’Etat de Droit, serait une grosse erreur d’appréciation, préjudiciable à la convivialité de nos populations et à la stabilité légendaire de notre pays.
Ibrahima SENE
PIT/SENEGAL Dakar le 27 Juin 2014
Autres articles
-
INTERVIEW / Nick Elebe, Société civile congolaise : « La RDC doit repenser son modèle démocratique… mon avis sur la tentative de coup d’État … »
-
Thiès : Un sergent-chef de l'armée interpellé avec 5 kg de chanvre indien
-
Iran: le président Raïssi introuvable après un "accident" d'hélicoptère
-
Retrait de la CEDEAO : les impacts économiques potentiels qu’encourent le Mali, le Burkina Faso et le Niger.
-
[INFO-INTERNATIONAL] RDC : Tentative de coup d'état neutralisé à Kinshasa, le chef milicien tué