ACTE 3 DE LA DÉCENTRALISATION ET SANTÉ : TRANSFERT D'INCOMPÉTENCES !


ACTE 3 DE LA DÉCENTRALISATION ET SANTÉ : TRANSFERT D'INCOMPÉTENCES !
Le licenciement d’un médecin à Grand-Dakar et le limogeage d’un autre à Hann-Bel Air, œuvres obscures de maires n’ayant pas encore pris la pleine mesure de leurs nouvelles responsabilités, amènent de plus en plus d’observateurs, à se demander, si l’objectif initial de l’Acte 3 de la décentralisation, qui était de « faire émerger des territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable » n’est pas en train d’être dévoyé.
Une autre interrogation pertinente ayant trait au processus de décentralisation dans notre pays consiste à se demander si les collectivités locales de notre pays ont les capacités techniques, administratives et financières pour prendre en charge le transfert (en vigueur depuis 1996) de la compétence Santé et Action sociale. 
L’expérience concrète montre que, durant la phase 2 de la décentralisation (1996 – 2014), l’écrasante majorité des structures sanitaires de notre pays (districts, établissements publics de santé) ont vu une importante partie de leurs ressources budgétaires logées par les collectivités locales confisquées par ces dernières. Par ailleurs, il a été constaté une absence quasi-générale de fonctionnalité des comités de gestion, organes de mise en œuvre du transfert de la compétence Santé.
C’est ce qui explique que les médecins-chefs de la Région de Dakar, dans un mémorandum paru en Décembre 2014 et portant sur l’acte 3 de la décentralisation et la réforme du district, attiraient déjà l’attention sur le fait que « les réformes proposées ne tenaient aucun compte des leçons tirées de la gestion peu satisfaisante du transfert de la compétence Santé et Action sociale aux collectivités locales, depuis 1996».
Autant dire que rien ne pouvait justifier le transfert de la gestion des ressources humaines à des collectivités locales, qui avaient montré leur carence dans la gestion des ressources budgétaires dévolues à la Santé, détournées, dans le meilleur des cas, vers d’autres objectifs (subventions aux ASC, imams ou fournitures scolaires).
De fait, des problèmes criards se sont fait jour, depuis le début d’application de l’acte III. Si le retard de paiement des salaires n’est pas directement imputable à des collectivités locales ne recevant pas de l’Etat central les subventions compensatrices, de nombreux exemples prouvent que plusieurs maires ne font pas preuve de suffisamment de hauteur et de distanciation par rapport à la délicate tâche de gestion des structures sanitaires. En effet, il est attendu d’eux, plus des orientations stratégiques qu’une immixtion intempestive dans la gestion quotidienne des structures qui relèvent des chefs de service que sont les techniciens de la Santé.
Invoquant l’érection de leur collectivité locale en commune de plein exercice, ces nouveaux maires s’arrogent des pouvoirs qui en deviennent disproportionnés, devant l’impuissance croissante des autorités administratives et l’absence de véritable contrôle populaire.
Devant l’indifférence générale des autorités gouvernementales, on assiste à l’intimidation des personnels de santé et même à « l’assassinat social » de médecins expérimentés, diffamés et vilipendés dans les médias, sous prétexte qu’ils reçoivent leurs salaires des municipalités.
En tout cas, les travailleurs du Secteur de la Santé et de l’Action sociale ont la désagréable impression d’être les dindons d’une farce tragique.
Comment, en effet expliquer, que pour la première fois dans notre pays, des travailleurs, de surcroît des médecins censés appartenir aux plus hautes hiérarchies de la Fonction Publique, soient traités comme des malpropres et même licenciés sans le moindre respect de la législation du travail ?
Les reproches faits par les maires aux médecins, en dehors du travail noir (qui est hélas, la tare la plus répandue dans la Fonction Publique sénégalaise), ont souvent trait à la gestion des comités de santé. Or, le responsable de la structure sanitaire (médecin-chef ou infirmier-chef de poste), bien que cosignataire des chèques ne joue qu’un rôle de conseiller et assiste, avec voix consultative, aux réunions du bureau du comité de santé. C’est le lieu de préciser que les comités de santé sont des structures mises en place par décret présidentiel, (décret N°92-118 du 17 janvier 1992), jouissant d’une autonomie vis-à-vis des techniciens de la santé et des autorités municipales, même s’ils restent sous la tutelle technique du Ministère de la Santé et de l’Action sociale. C’est pourquoi, les erreurs ou fautes de gestion des comités de santé ne peuvent aucunement être imputées au médecin-chef ou à l’infirmier-chef de poste, sauf en cas de complicité avérée et prouvée.
Ainsi, il n’est nullement possible de reprocher au médecin-chef du centre de santé de Grand-Dakar d’avoir refusé de congédier deux agents de santé communautaires, qui relèvent de l’autorité du Comité de santé. De même, le responsable de la structure sanitaire, certes détenteur du chéquier, assurant la supervision technique du comité de santé ne fait qu’exprimer des besoins qui doivent être acceptés par le bureau du comité de santé, le président étant l’ordonnateur des dépenses exécutées par le Trésorier.
Dans aucun cas de figure, il n’est prévu la possibilité pour le président de la collectivité locale de procéder à un audit financier du comité de santé, qui relève de la compétence des inspecteurs du Ministère de la Santé et de l’Action sociale.
La légèreté avec laquelle les maires incriminés ont prétendument sanctionné les deux médecins semble indiquer que l’acte 3 de la décentralisation est en porte-à-faux avec le code du travail, ce qui fait dire à certains syndicalistes que l’acte 3 de la décentralisation est une loi anti-travailleur. De fait, des dispositions figurant en bonne place dans la loi relative au statut général des fonctionnaires des Collectivités locales ont été royalement ignorées, sans que les autorités administratives ne lèvent le plus petit doigt.
On peut affirmer, sans risque de se tromper que la majorité des élus locaux de notre pays font preuve d’une incompréhension manifeste de l’esprit de la décentralisation. Autant la revendication d’un véritable transfert de pouvoir, c’est-à-dire des compétences administratives et de gestion aux collectivités locales semble légitime, autant il apparaît évident que les compétences techniques (Education, Santé et Action sociale) sont d’une complexité telle qu’elles devraient être les dernières à être transférées à des collectivités locales, devant faire un long apprentissage du développement local. D’ailleurs, même des pays comme la France, (où la gestion de la Santé relève toujours de l’Etat central), n’osent pas encore s’aventurer sur ce terrain périlleux.
On peut, en définitive, relever un certain nombre d’erreurs dans la mise en œuvre du processus de transfert de la compétence Santé telle que préconisée par l’Acte 3 de la décentralisation :
  • Absence de concertation véritable avec le Ministère de la Santé et de l’Action Sociale sur la question du devenir des structures et personnels de santé, qui ont fait l’objet de la dévolution,
  • Incapacité manifeste des nouvelles communes de plein exercice de la Région de Dakar, anciennement communes d’arrondissement, d’assurer la gestion des structures sanitaires, car ne disposant pas de capacités administratives et techniques pour ce faire,
  • Non prise en compte des intérêts des travailleurs, dans ce qu’on a voulu présenter à l’opinion comme un simple redéploiement du personnel des Villes vers les communes de plein exercice alors qu’il s’agissait, en fait, d’une substitution d’employeur,
  • Non-respect des dispositions du code du travail notamment en son article L. 66 aux fins de garantie à tous les travailleurs de leurs droits et avantages déjà acquis au service de leurs premiers employeurs qu’étaient les Villes.
Autant dire que les travailleurs municipaux ont été livrés pieds et poings liés à de nouvelles collectivités locales, au niveau desquelles, la gouvernance reste à parfaire.
La solution reste le rétablissement de la plénitude des pouvoirs du Ministère en charge de la Santé et de l’Action sociale pour la conduite de la politique sanitaire, en attendant la maturation du processus de décentralisation, qui donne de plus en plus l’impression d’en être encore à son stade expérimental !
Dr Mohamed Lamine LY
District de Dakar-Sud
 
Mercredi 5 Août 2015




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